Le Roman d'Alexandre le Grand
misérable. Elle le lava, lui passa des
vêtements propres et ordonna à plusieurs hommes de l’éventer nuit et jour à
l’aide de flabella en plumes. Accouru à son chevet, Philippe se rendit compte
que sa fièvre était encore très élevée, et que chaque soir, au coucher du
soleil, le roi se mettait à délirer. Fort de l’enseignement de son maître
Nicomaque, il envoya des cavaliers hyrcaniens ramasser de la neige sur les
montagnes. Il en recouvrait le corps d’Alexandre chaque fois que sa température
augmentait, et Leptine changeait à plusieurs reprises, au cours de la nuit, le
linge froid qu’elle avait posé sur le front du souverain. Le médecin commença à
le nourrir de pain sec et de pommes vertes jusqu’à ce que ses diarrhées
diminuent.
« Tu vas sans doute t’en
tirer », lui dit-il quand il le vit reprendre des couleurs une fois la
fièvre tombée. « Mais si tu continues à te comporter de la sorte, personne
ne pourra te sauver, pas même Asclépios, qui a, paraît-il, le pouvoir de
ressusciter les morts.
— Je crois que tu es plus doué
qu’Asclépios, iatré », répondit son patient royal avant de se rendormir.
Dès qu’il fut en mesure de donner
des ordres, Alexandre interdit aux rescapés de la bataille de parler de la
défaite à qui que ce soit, pour éviter que le découragement ne se répande dans
les rangs. Puis il lança Perdiccas, Cratère et Héphestion contre les forces de
Spitaménès. Les rebelles furent repoussés vers les montagnes, où Alexandre
renonça à les poursuivre car on approchait à présent de l’hiver, et une telle
entreprise eût constitué une folie. Il décida de retourner à Bactres, ville
dans laquelle Bessos était prisonnier, afin d’affirmer son autorité le long des
frontières septentrionales de l’empire, et de voir jusqu’où s’étendaient les
territoires des Scythes.
Il franchit une nouvelle fois l’Oxus
sur le pont d’outres qu’il y avait installé, et s’enfonça dans une région en
grande partie désertique, une plaine immense qui s’étirait au nord vers un
horizon brumeux. De temps à autre, il croisait des caravanes de chameaux de
Bactriane qui se dirigeaient vers l’ouest, et il lui arrivait d’être suivi à
distance par des cavaliers scythes, reconnaissables à leurs vêtements aux
couleurs vives, leurs pantalons décorés, leurs armures à écailles très
caractéristiques. Un soir, tandis qu’on se préparait à monter le camp, un de ses
éclaireurs revint avec une nouvelle stupéfiante : « Des
Amazones ! »
Séleucos ricana : « C’est
à cause de nos maigres réserves d’eau qu’on sert du vin pur à nos
troupes ?
— Je ne suis pas soûl,
commandant, répliqua le soldat d’un air sérieux. J’ai vu des guerrières rangées
sur la hauteur qui nous fait face.
— Moi, je ne me bats pas contre
les femmes, affirma Léonnatos sur un ton solennel. À moins que…
— Mais elles ne sont pas
animées d’intentions agressives, précisa le soldat, elles nous
souriaient ! Celle qui semblait être leur chef était d’une grande beauté
et… » En se retournant pour indiquer au roi le lieu où cette rencontre
s’était produite, il vit que la femme dont il parlait s’avançait vers eux,
escortée par quatre de ses compagnes.
« Laissez-les venir, ordonna
Alexandre en passant instinctivement une main dans ses cheveux, comme pour les
recoiffer. Il est possible que nous ayons vraiment pénétré dans les territoires
des Amazones. »
La belle guerrière mit pied à terre,
imitée par ses compagnes. On pouvait distinguer le reste de leur groupe, occupé
à dresser une tente un peu plus loin. Une seule tente, au milieu de ces terres
immenses.
Le roi alla à sa rencontre, flanqué
d’Héphestion et de Cratère tandis qu’un murmure d’étonnement parcourait les
rangs et le cortège. Callisthène, qui avait tout juste appris la nouvelle, se
frayait un chemin dans la foule à coups de coude. Intriguée par cet événement
étrange, Leptine s’était elle aussi approchée.
Face à Alexandre, la reine guerrière
ôtait déjà son couvre-chef, une sorte de casque conique pourvu de couvre-joues,
libérant de magnifiques cheveux, noirs et brillants, rassemblés en une longue
tresse qui lui tombait jusqu’à la taille, ou presque.
Agée d’environ vingt ans, elle était
fort différente des Amazones que Bryaxis et Scopas avaient sculptées sur les
bas-reliefs du Mausolée d’Halicarnasse, ou
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