Le Roman d'Alexandre le Grand
« Cela
signifie qu’ils peuvent nous obliger à recevoir une délégation sous la tente
royale et à leur montrer Alexandre dans cet état. »
Philippe se retourna. « Tant
que je suis ici, personne ne mettra le pied sous cette tente sans mon
autorisation. Je suis l’archiatre royal et j’ai la responsabilité de… »
Cratère posa une main sur son
épaule. « L’assemblée réunie en séance plénière est souveraine en
l’absence du roi. Ils peuvent donc le faire, et ils le feront
certainement. »
C’est alors qu’entrèrent Séleucos et
Lysimaque, venus s’enquérir de la santé du roi. « Que se passe-t-il ?
demanda Séleucos en constatant qu’une discussion était en cours.
— Le fait est… », commença
Cratère.
Personne n’avait prêté attention à
Alexandre, qui semblait profondément assoupi. Ils sursautèrent en entendant sa
voix : « Écoutez-moi. »
Comprenant que leur conversation ne
lui avait pas échappé, Eumène tenta d’expliquer : « Alexandre, il
s’agit d’une affaire que nous pouvons très bien résoudre avec… »
Le roi leva la tête et la main
droite avec une autorité indiscutable. Gênés, les compagnons se turent.
« Séleucos…
— À tes ordres, sire, répondit
instinctivement son ami ému de recevoir à nouveau un ordre d’Alexandre.
— Rassemble l’armée entière.
Après le coucher du soleil.
— Ce sera fait.
— Léonnatos…
— À tes ordres, sire, répondit
Léonnatos, encore plus abasourdi.
— Fais préparer mon cheval. Le
bai…
— Le bai de Sarmatie, oui, oui.
Ce sera fait.
— Il ne sera foutrement rien
fait ! s’écria Philippe. Mais qu’est-ce qui vous prend ? Vous êtes
devenus fous ? Le roi n’est même pas en mesure de… »
Alexandre leva une nouvelle fois la main,
et les mots de Philippe disparurent dans un murmure.
« Héphestion.
— Je t’écoute, Alexandre.
— Prépare mon armure. Je veux
qu’elle soit étincelante.
— Elle le sera, Alexandre,
répliqua Héphestion, la gorge serrée. Aussi brillante que l’étoile argéade. »
Les compagnons pensaient que le roi
avait décidé de mourir à cheval, et non dans son lit. Philippe en était lui
aussi persuadé. Il s’assit dans un coin en marmonnant : « Faites donc
ce que vous voulez. Si vous voulez le tuer, ne vous gênez pas pour moi. Je n’ai
rien à voir là-dedans, je… » Et il se tut, vaincu par l’émotion.
« Léonnatos, reprit le roi. Je
veux qu’on m’amène mon cheval ici, sous ma tente.
— C’est ici que tu
l’auras », répondit son ami en comprenant que le roi ne voulait pas se
montrer à ses soldats tandis qu’on l’aidait à monter à cheval.
« Et maintenant, allez. »
Ils quittèrent la tente alors
qu’Alexandre s’abandonnait sur son oreiller et s’endormait. Les voix
d’Héphestion et de Léonnatos le réveillèrent. Quand il ouvrit les yeux, il vit
que la tente était plongée dans la lumière incertaine du couchant.
« Nous sommes prêts »,
annonça Héphestion.
Alexandre hocha la tête, puis il se
redressa sur son lit au prix d’un dur effort et demanda à ses amis de le
conduire à la salle de bains. Leptine le lava, parfuma son corps et ses
cheveux, l’essuya et entreprit de le vêtir.
« Mets-moi un peu de couleur
aux joues », lui ordonna-t-il. Et la jeune femme s’exécuta. Tandis qu’elle
lui ravivait le teint et masquait ses cernes, il lui caressa le visage et lui
dit : « Je te donnerai en mariage à un grand de mon empire, et je te
constituerai une dot digne d’une reine. » Il s’exprimait d’une voix sûre.
Quand Leptine eut terminé, il interrogea ses amis :
« Alors, comment me
trouvez-vous ?
— Pas mal, répondit Léonnatos
avec un sourire mi-figue mi-raisin. Tu ressembles à un acteur.
— Et maintenant, mon
armure. »
Héphestion lui laça sa cuirasse et
ses jambières, accrocha son épée à son côté et plaça son diadème sur ses
cheveux.
« Allez chercher mon cheval.
Les soldats sont-ils rangés ?
— Ils le sont », l’assura
Héphestion.
Léonnatos amena par la porte
postérieure le bai de Sarmatie, entièrement harnaché, tandis qu’Héphestion se
baissait et entrelaçait ses doigts pour aider Alexandre à monter. Le roi posa
le pied sur cette marche improvisée et ses amis le poussèrent.
Puis Léonnatos s’approcha, des
courroies à la main. « Nous avons pensé qu’il serait bon de t’attacher au
harnachement.
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