Le Roman d'Alexandre le Grand
buissons de roses, se dressait sur un
pré très vert et se réfléchissait dans l’eau de deux lacs jumeaux qui
s’ouvraient, à droite et à gauche, comme deux yeux reflétant le ciel.
Perdiccas s’approcha. « Je t’ai
fait préparer un logement pour la nuit dans l’hôtellerie du sanctuaire.
— Et toi ?
— Je veillerai sur ton sommeil,
ma maîtresse. »
La jeune fille baissa la tête.
« Toute la nuit ?
— Bien sûr. Toute la nuit. Je
suis responsable de… »
Cléopâtre leva les yeux et sourit.
« Je sais que tu es très robuste, Perdiccas, mais je regrette que tu
restes éveillé toute la nuit. Je pensais que…
— Que pensais-tu, ma
maîtresse ? demanda le jeune homme avec une inquiétude croissante.
— Que… si jamais tu t’ennuyais…
tu pourrais monter chez moi pour bavarder un peu.
— Oh, ce serait un grand
plaisir et un honneur…
— Alors, je laisserai la porte
ouverte. »
Elle sourit encore en clignant de
l’œil et courut rejoindre ses servantes, qui jouaient à la balle sur la pelouse
parmi les roses en fleur.
21
Peu après le retour d’Alexandre à Pella, le conseil du sanctuaire de
Delphes demanda à Philippe de défendre les droits du temple d’Apollon contre la
ville d’Amphissa, dont les habitants cultivaient abusivement des terres
appartenant au dieu. Alors que le souverain s’apprêtait à évaluer le véritable
objectif de cette guerre sacrée, il reçut d’Asie des nouvelles importantes.
Un de ses espions, un Grec de
Cilicie dénommé Eumolpos qui exerçait une activité commerciale dans la ville de
Soles, débarqua dans le port de Therma et vint les lui délivrer en personne.
Les deux hommes se rencontrèrent en tête à tête dans le bureau privé du roi.
« Je t’ai apporté un
cadeau », sire, annonça l’espion en déposant sur la table de Philippe une
précieuse statuette en lapis-lazuli qui représentait la déesse Astarté.
« Elle est très ancienne et très rare, elle représente l’Aphrodite des
Cananéens. Elle protégera longtemps ta virilité.
— Je te remercie, je tiens
beaucoup à ma virilité, mais j’espère que ce n’est pas le seul motif de ta
venue.
— Bien sûr que non, répliqua
Eumolpos. Il y a de grandes nouvelles dans la capitale perse : l’empereur
Artaxerxès III a été empoisonné par son médecin, sur l’ordre d’un eunuque de la
cour, semble-t-il. »
Philippe secoua la tête. « Les
châtrés sont déloyaux. Jadis, on a voulu m’en offrir un, mais j’ai refusé. Ils
sont jaloux de tous ceux qui ont encore la possibilité de baiser. C’est
compréhensible, d’une certaine façon, puisqu’on la leur a niée. Quoi qu’il en
soit, voilà qui me donne raison.
— L’eunuque se nomme Bagoas. Il
s’agit, paraît-il, d’une histoire de jalousie.
— Châtré et enculé qui plus
est. C’est normal, commenta Philippe. Et maintenant, que va-t-il se
passer ?
— Il s’est déjà passé quelque
chose, sire. Bagoas a persuadé les nobles d’offrir la couronne à Arsès, fils du
défunt Artaxerxès et d’une de ses épouses, Atossa. Regarde, dit-il en tirant
une pièce de monnaie de sa poche et en la tendant à Philippe. Elle vient juste
d’être frappée. »
Le roi examina le profil du nouvel
empereur, caractérisé par un nez énorme, pareil à un bec de rapace. « Il
n’a pas l’air rassurant. Il semble encore pire que son père, qui était déjà un
dur à cuire. Penses-tu que cela durera ?
— Ma foi, soupira Eumolpos en
haussant les épaules, c’est difficile à dire. Mais nos observateurs s’accordent
pour penser que Bagoas a l’intention de gouverner en se servant d’Arsès et que
ce dernier vivra tant qu’il obéira au châtré.
— Cela me paraît sensé.
J’enverrai mes salutations au nouveau souverain et à ce couilles-sèches de
Bagoas, et nous verrons comment ils prendront la chose. Informe-moi de tout ce
qui se produit à la cour de Suse et tu n’auras pas à t’en plaindre. Et
maintenant, passe chez mon secrétaire, qui te paiera ton dû, et dis-lui de me
rejoindre. »
Eumolpos le salua cérémonieusement
et disparut en laissant Philippe méditer sur la suite des événements. Quand
Eumène surgit, il avait déjà pris sa décision.
« Tu m’as appelé, sire ?
— Assieds-toi et écris. »
Eumène s’empara d’un tabouret d’une
tablette et d’un stylet, tandis que le souverain commençait à dicter :
Philippe, roi des
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