Le Roman d'Alexandre le Grand
monts de l’Éordée.
Là-bas, cachée dans l’obscurité, se
trouvait la calme retraite de Miéza, où Aristote veillait peut-être en suivant
le fil subtil de ses pensées. Il lui sembla que des années s’étaient écoulées
depuis leurs adieux.
Il fut réveillé par un garde, juste
avant l’aube, et se redressa sur son lit. Il avait l’impression que sa tête
allait éclater.
« J’espère que tu as une bonne
raison, autrement…
— Le roi te fait demander,
Alexandre. Il veut que tu le rejoignes immédiatement. »
Le jeune homme se leva avec
difficulté et gagna une cuvette où il plongea la tête à plusieurs
reprises ; puis il jeta une chlamyde sur ses épaules nues, laça ses
sandales et suivit son guide.
Philippe l’accueillit dans une pièce
de l’armurerie royale. Il était facile de comprendre qu’il était de fort
mauvaise humeur.
« Il s’est produit quelque
chose de très grave, dit-il. Avant que tu reviennes, j’avais demandé à ta mère
de m’aider dans une mission délicate : mander une ambassade à Athènes pour
tenter de bloquer un projet de Démosthène, qui risquait de se révéler nuisible
à notre politique. Je pensais qu’un envoyé de la reine aurait plus de chances
d’être écouté et d’obtenir des résultats. Hélas, je me trompais. L’envoyé a été
accusé d’espionnage et torturé à mort. Sais-tu ce que cela signifie ?
— Que nous devons nous mettre
en guerre contre Athènes, répondit Alexandre, qui avait recouvré une partie de
sa lucidité à la vue de son père.
— Ce n’est pas aussi simple.
Démosthène essaie de constituer contre nous une ligue panhellénique et de la
pousser à la guerre.
— Nous les battrons.
— Alexandre, il est temps que
tu apprennes que les armes ne sont pas la solution à tous les problèmes. J’ai
fait l’impossible pour être considéré comme le chef d’une ligue panhellénique,
non comme son ennemi. Je nourris un projet ambitieux : déplacer le champ
de bataille en Asie, contre les Perses ; vaincre et repousser loin de la
mer Égée l’ennemi séculaire des Grecs ; prendre le contrôle des voies
commerciales qui mènent de l’Orient à nos rivages. Pour mener à bien ce projet,
il faut que je m’impose comme le chef indiscuté d’une grande coalition
réunissant toutes les forces des États grecs. En outre, il est nécessaire que
s’affirme dans les villes les plus puissantes le parti philo-macédonien, et non
celui qui souhaite ma mort. Tu comprends ? »
Alexandre acquiesça. « Que
penses-tu faire ?
— Pour l’heure, attendre. Au
cours de ma dernière campagne, j’ai subi des pertes considérables, et je dois
reconstruire les subdivisions de notre armée que la guerre dans l’Hellespont et
en Thrace a fauchées. Je n’ai pas peur de me battre, mais je préfère le faire
lorsque les chances de victoire seront plus nombreuses.
« Je vais avertir tous nos
informateurs à Athènes, à Thèbes et dans les autres cités grecques, de façon à
être constamment informé de l’évolution de la situation politique et militaire.
Démosthène a besoin de Thèbes s’il veut espérer nous battre. Thèbes dispose, en
effet, de la seule armée de terre qui surpasse la nôtre. Il nous faut donc
attendre le moment opportun pour empêcher cette alliance de se consolider. Cela
ne devrait pas être difficile : les Athéniens et les Thébains se sont
toujours détestés. Quoi qu’il en soit, si malgré tous mes efforts l’alliance
était scellée, nous serions alors contraints de frapper avec la force et la
rapidité de l’éclair.
« Le temps de ton éducation est
terminé, Alexandre. À partir d’aujourd’hui, je te tiendrai informé des
événements qui nous concernent de près. De jour comme de nuit, par beau temps
comme par mauvais temps. Pour l’heure, je te demande d’apprendre à ta mère la
mort de son envoyé. Elle était attachée à lui. Mais ne lui épargne pas les
détails : je veux qu’elle sache tout ce qui est arrivé.
« Quant à toi, tiens-toi
prêt : la prochaine fois que tu guideras tes camarades, ce ne sera pas
dans une chasse au lion ou à l’ours. Ce sera à la guerre. »
Alexandre sortit et se dirigea vers
les appartements de sa mère. Sur la promenade, il rencontra Cléopâtre qui
descendait l’escalier, vêtue d’un magnifique péplum ionien brodé et suivie par
deux servantes portant une corbeille volumineuse.
« Il est donc vrai que tu pars,
lui
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