Le Roman des Rois
il y eut le comte de Jaffa qui dit seulement : « Mon château est sur la frontière, et si je conseillais au roi de demeurer, on penserait que c’est par intérêt. »
Le légat interrogea Jean de Joinville, qui s’exprima avec colère :
« Que le roi emploie ses fonds, dit-il, qu’il envoie chercher des chevaliers en Morée et outre-mer. Ainsi il pourra faire campagne pendant un an et, grâce à son séjour, les pauvres pèlerins qui ont été faits prisonniers au service de Dieu ou du sien seront délivrés. Autrement, ils ne sortiront jamais de captivité. »
Le maréchal de France Guillaume de Beaumont approuva Joinville. Mais son neveu, qui avait fort envie de rentrer en
France, s’écria : « Que voulez-vous dire ? Rasseyez-vous et fermez votre gueule ! »
Le roi intervint :
– Monsieur Jean de Beaumont, vous faites mal, laissez-le parler.
– Certes, Sire, je ne le ferai pas !
Il se tut et personne ne me prêta attention quand je dis qu’il y avait quelque déraison à prêcher le départ du roi de Terre sainte dans l’intention de préparer son retour ici.
Je n’ai pas ajouté que je pensais que c’était mensonge et félonie.
Le roi se leva :
« Seigneurs, je vous ai bien entendus, dit-il. Je vous répondrai sur ce qu’il me plaira de faire d’aujourd’hui en huit. »
Je n’ai pas été surpris quand, le dimanche suivant, Louis, après avoir dit que Madame la reine avait assez de gens pour défendre le royaume, ajouta en haussant la voix :
« J’ai considéré qu’à aucun prix je ne devais laisser perdre le royaume de Jérusalem que je suis venu conquérir et garder. Mon avis est maintenant de rester. Venez me parler hardiment. Je vous donnerai tant d’argent que ce ne sera pas ma faute, mais la vôtre, si vous ne voulez pas demeurer. »
Un mois plus tard, j’ai entendu la voix courroucée du roi lancer devant les barons réunis :
– Seigneurs, il y a déjà un mois que l’on sait mon dessein de demeurer ici, et je n’ai pas encore appris que vous m’ayez retenu un seul chevalier !
Et j’ai dû entendre aussi la réponse des grands barons :
– Sire, nous n’en trouvons pas, car tous se font si exigeants, tous si désireux qu’ils sont de retourner dans leur pays, que nous n’osons donner ce qu’ils demandent…
– Et qui trouverez-vous à meilleur marché ? demanda le roi.
On cita mon nom et celui du sénéchal de Champagne. Le roi nous convoqua. Jean de Joinville s’agenouilla et je l’imitai.
Le roi nous fit asseoir.
– Mes gens disent qu’ils vous trouvent dur, dit le roi à Joinville.
– Sire, je n’y peux rien, j’ai été fait prisonnier sur l’eau, il ne me demeure plus rien, car j’ai perdu tout ce que j’avais. J’ai dit que je n’avais rien possédé, que j’étais nu de richesses.
Le roi nous saisit la main et dit :
– Je vous prends à mes gages.
D’autres chevaliers sont venus nous rejoindre, mais nous n’étions plus la grande armée de la croisade. La mort avait moissonné à grands coups de faux dans nos rangs.
Le roi cependant ne renonça pas. Il décida de renforcer les remparts des villes de Terre sainte, d’y élever des tours et des forteresses, de colmater les brèches dans les murailles des cités franques. Et à Acre, à Césarée, à Jaffa, à Sidon, sous sa direction des centaines de chrétiens se mirent à l’oeuvre.
La certitude qu’un jour nous marcherions à partir de ces forts et de ces villes de la côte vers Jérusalem se renforça en même temps que ces défenses.
Louis refusa même de se rendre en pèlerinage à Jérusalem, comme le lui proposait le sultan, qui lui offrait un sauf-conduit. Il n’entrerait à Jérusalem qu’en vainqueur, qu’en héritier du Christ, qu’en libérateur de la ville où Jésus avait souffert.
Il rassembla une nouvelle fois ses barons et ses chevaliers et nous annonça qu’il avait décidé de renvoyer en France ses deux frères, Charles d’Anjou et Alphonse de Poitiers.
Car des messagers arrivés de France lui avaient appris que le royaume était parcouru par des foules exaltées que guidait un moine cistercien que l’on nommait le Maître de Hongrie.
Celui-ci avait quitté son ordre, prêchait des paroles de justice qui devenaient vent de révolte contre l’Église et les puissants.
Il prétendait rassembler une armée qui rejoindrait la Terre sainte et libèrerait le roi Louis qu’il affirmait prisonnier des
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