Le Roman des Rois
nous confessâmes les uns aux autres, persuadés que notre sort était scellé.
On menaça à nouveau de soumettre Louis à la torture. Puis les négociations entre le sultan et lui reprirent. Le sultan réclamait cinq cent mille livres pour la libération du seul roi. Celui-ci répondit qu’il n’était pas homme à être racheté à prix d’argent, mais qu’il pouvait remettre Damiette comme rançon pour lui, et les cinq cent mille livres pour celle des prisonniers chrétiens.
Le sultan accepta et, dans un geste généreux, réduisit la rançon de cent mille livres.
La prière était notre bouclier, la foi notre glaive.
Mais Dieu laisse à l’homme la liberté de choisir s’il veut être valeureux ou lâche, fidèle ou félon. Et, au moment de l’épreuve, on reconnaît les âmes de pur métal de celles qui se corrodent.
L’âme du roi fut sans tache.
Il interdit aux barons de négocier chacun pour soi le montant de leur rançon, ce qui eût condamné les plus pauvres à ne jamais recouvrer la liberté. La rançon versée était pour tous.
Et la reine Marguerite, qui était à Damiette, rassembla en quelques jours deux cent mille livres.
Et tous l’entendirent, alors qu’elle était grosse, s’attendant à tout instant à donner naissance à l’enfant, s’employer à convaincre Pisans et Génois de ne pas s’enfuir, mais de demeurer fidèles au roi.
Le jour même de l’accouchement, alors que son fils était né, ondoyé, prénommé Tristan car le temps était à la tristesse, elle les convoqua et leur dit :
« Seigneurs, pour l’amour de Dieu, n’abandonnez pas cette ville. Elle est la rançon du roi et tous ceux qui sont avec lui seraient perdus si elle était prise. Ayez pitié de cette chétive créature, Tristan, mon fils que voici, et attendez que je sois relevée. »
Comme les Italiens exprimaient la crainte d’être affamés, elle les retint tous aux gages du roi.
Et Damiette put rester la rançon de Louis.
Nous sûmes tous qu’elle avait dit à un vieux chevalier, avant qu’elle accouchât :
« Je vous demande, par la foi que vous m’avez baillée, que si les Sarrasins entrent dans la ville, vous me coupiez la tête avant qu’ils me prennent. »
Elle s’était agenouillée devant lui, sollicitant cette grâce.
Le chevalier l’avait relevée et lui avait répondu :
« Soyez certaine que je le ferai volontiers, car j’y avais déjà pensé. »
Ainsi fut la reine, héroïque, quand d’autres, avec félonie, s’enfuirent, prisonniers de leur peur.
D’autres encore, tel Philippe de Nemours, se vantèrent d’avoir, à la pesée des espèces de la rançon, réussi à tromper les Sarrasins. Le roi s’indigna qu’on ne respectât pas la parole qu’il avait donnée, et fit compléter la rançon.
Mais bravoure et droiture ne doivent pas rendre aveugle.
Chaque jour, les musulmans violaient leurs engagements, massacraient leurs prisonniers, car ils en avaient en trop grand nombre. Aussi la reine Marguerite et tous les chrétiens que la maladie ou les blessures n’immobilisaient pas quittèrent Damiette et embarquèrent avant que les portes de la ville ne fussent ouvertes aux Infidèles.
Bien leur en prit, car les musulmans, dès qu’ils pénétrèrent dans Damiette, massacrèrent tous les chrétiens qu’ils y trouvèrent.
Nous qui étions aux côtés du roi, attendant qu’on nous conduisît jusqu’à l’embarcadère, comprîmes que notre sort était encore incertain.
Certains des musulmans étaient menaçants, refusant de nous laisser partir, et la foule qui entourait le camp des Infidèles les soutenait, hurlant contre nous.
D’autres, scrupuleux des accords conclus, nous conduisirent jusqu’au rivage.
La foule hostile nous suivait.
Nous vîmes une galère génoise amarrée à l’embarcadère sur lequel se pressaient un groupe d’hommes. Quand nous
fûmes proches d’eux, il y eut un coup de sifflet et ces hommes dévoilèrent leurs arbalètes, visant la foule des Infidèles qui s’enfuit. Alors nous pûmes embarquer.
Nous nous éloignâmes rapidement du rivage. Les rames des galériens battaient la mer au rythme du tambour de la chiourme, et c’était comme si elles faisaient écho aux battements de nos coeurs.
Nous pensions tous aux milliers de prisonniers qui restaient encore entre les mains des Infidèles.
Et à ceux des seigneurs, les comtes de Flandre, de Soissons et de Bretagne, qui regagnaient la France, contrevenant aux
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