Le Roman des Rois
Infidèles.
Tous ceux que la faim tenaillait, que la richesse des grands indignait, que les ors de l’Église blessaient, rejoignaient ces bandes qui allaient de ville en ville, de Rouen à Orléans, d’Amiens au Puy.
Les jeunes pâtres quittaient leurs troupeaux et suivaient le prédicateur.
On assurait que cette croisade des pastoureaux bénéficiait de l’appui de la reine Blanche de Castille. N’avait-elle pas ouvert les portes de Paris au Maître de Hongrie qui avait prêché en l’église Saint-Eustache ?
Mais, bientôt, il fut pourchassé, et les milices communales, les sergents du roi traquèrent ces pastoureaux, qui pillaient, dévastaient les églises, brûlaient les synagogues. Et le Maître de Hongrie fut capturé et pendu à Bourges.
Les frères du roi devaient apporter consolation et soutien à la reine Blanche de Castille.
Le roi nous lut la lettre qu’il confiait à ses frères :
« Louis, par la grâce de Dieu, roi des Français, à ses chers et fidèles prélats, barons, guerriers, citoyens, bourgeois et à tous les autres habitants de son royaume, à qui ces présentes lettres parviendront.
« Pour l’honneur et la gloire du nom de Dieu, désirant de toute notre âme poursuivre l’entreprise de la croisade, nous avons jugé convenable de vous informer tous… »
Mon fils, en écoutant le roi, j’ai à nouveau gravi notre calvaire, celui menant de notre espérance à nos défaites, à nos humiliations et à nos souffrances. Le roi ne dissimulait rien, mais sa parole n’était point désespérée. « Les Français, disait-il, sont un peuple privilégié pour la conquête de la Terre sainte, que vous devez regarder comme votre propriété.
« Nous vous invitons tous à servir Celui qui vous servit sur la Croix en répandant son sang pour votre salut, car la nation infidèle qui s’est emparée de l’héritage du Christ est une nation criminelle : outre les blasphèmes qu’elle vomit, en présence du peuple chrétien, contre le Créateur, elle bat de verges la Croix, crache dessus et la foule aux pieds en haine de la foi chrétienne. Courage, donc, soldats du Christ ! Armez-vous et soyez prêts à venger ces outrages et ces affronts, prenez exemple sur vos devanciers !
« Faites donc vos préparatifs et que tous ceux à qui la vertu du Très-Haut inspirera de venir ou d’envoyer du secours soient prêts pour le mois d’avril ou de mai prochain… La nature de l’entreprise exige la célérité, et tout retard deviendrait funeste…
« Pour vous, prélats et autres fidèles du Christ, aidez-nous auprès du Très-Haut par la ferveur de vos prières ! Ordonnez qu’on en fasse dans tous les lieux qui vous sont soumis, afin qu’elles obtiennent pour nous la Clémence divine… »
Ce qui vint, mon fils, au printemps de l’an de grâce 1253, ce fut l’annonce de la mort de la reine Blanche de Castille, qui, la sentant venir, avait demandé le voile à l’abbesse de
Maubuisson, mourant ainsi le 1 er décembre 1252 dans cette abbaye comme une religieuse de l’ordre de Cîteaux.
Le cri poussé par le roi de France quand il apprit la nouvelle, près de trois mois plus tard, me traverse encore.
Puis il pleura, s’agenouilla devant l’autel, mains jointes, remerciant Dieu de lui avoir donné une si bonne mère :
« Il est bien vrai, beau, très doux père Jésus-Christ, que j’aimais ma mère par-dessus toutes créatures qui vivent dans ce monde, et qu’elle méritait bien cet amour.
« Mais, puisqu’il vous a plu qu’elle trépasse en ce monde, que Votre Nom soit béni ! »
Je savais que nous allions quitter la Terre sainte.
60.
Lorsque nous avons quitté le port de Saint-Jean-d’Acre, la tristesse du roi m’a paru si grande que je n’ai pu retenir mes larmes.
Il était agenouillé devant l’autel que le légat du pape, Eudes de Châteauroux, l’avait autorisé à dresser à bord de cette nef marseillaise sur laquelle avaient embarqué les proches de Louis, ses conseillers, la reine Marguerite ainsi que ses deux enfants nés en Terre sainte.
Le roi portait la croix sur son vêtement et c’était comme s’il avait voulu montrer à tous qu’il reviendrait sur la terre de Jésus-Christ, qu’il demeurait un croisé malgré l’échec que nous venions de subir.
Et c’était grande peine, grande incompréhension, car nous avions combattu pour la gloire de Dieu, nous nous étions mis à Son entier service, et Il avait laissé les
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