Le Roman des Rois
qu’on méprisait étaient chrétiens, et même si, parfois, on les accusait d’hérésie, ils étaient aussi les banquiers du pape ; on ne les persécutait pas.
Mais les Juifs, qui, eux aussi, faisaient commerce d’usure, étaient à merci.
Un jour d’avril 1288, toute la famille d’un Juif de Troyes, Isaac Châtelain, sans autres raisons que la haine qu’on portait à ce peuple accusé d’être coupable de la mort de Jésus-Christ et que la jalousie vouée à plus riche que soi, fut conduite au bûcher avec treize autres personnes, hommes, femmes, enfants, qui périrent dans les flammes.
On rapporta à Philippe le Bel qui en resta coi, le visage fermé, paraissant ne pas avoir entendu.
Mais il demanda que l’on saisisse toutes les créances détenues par les Juifs, afin de savoir ce qui, dans chaque contrat, était dû en somme prêtée – en principal – et en usure.
Les Juifs en de nombreuses cités furent arrêtés.
Ceux de la sénéchaussée de Beaucaire furent conduits au Châtelet de Paris comme otages, et ne furent relâchés qu’après avoir confessé le nombre et la nature de leurs contrats, et avoir versé au roi ce qui provenait de l’usure.
Les sommes ainsi obtenues ne furent jamais restituées aux débiteurs, mais conservées au Trésor royal.
Celui-ci était toujours exsangue.
Et l’on parlait de remuement des monnaies, de leur teneur en or et en argent, de la valeur de chacun de ces métaux précieux par rapport à l’autre.
Il y eut grand trouble quand le roi prit une ordonnance limitant pour chaque famille la possession de vaisselle en métal précieux. Ce qui était en sus devait être remis à la Monnaie royale.
Puis ce que l’on craignait advint : la part du métal précieux par pièce fut réduite, et l’on interdit l’exportation d’argent.
J’eus plusieurs fois le sentiment de vivre dans un royaume différent de celui que mes aïeux avaient bâti et connu, dont mon père m’avait retracé la geste glorieuse.
Je découvrais jour après jour que Philippe le Bel s’écartait du chemin tracé par son grand-père Saint Louis, ce chemin juste et droit que m’avait aussi indiqué mon père.
Or j’apprenais que même sur les terres de mon fief, autour du château de Villeneuve de Thorenc, les agents royaux harcelaient mes sujets, ceux auxquels je devais protection, qu’ils fussent paysans, bourgeois ou clercs.
Mais j’étais un vassal fidèle au roi, non un félon prêt à renier son serment d’allégeance et à rallier un autre suzerain.
Ce n’est qu’aujourd’hui, ma vie passée dans le respect de ma parole, que j’évoque cette pensée de félonie.
Sur l’heure, elle n’a jamais jailli en moi, même si je souffrais de voir les fleurs de lis plus souvent gravées sur une pièce que brodées sur une oriflamme.
72.
Un jour enfin, après une trop longue attente, le remuement des chevaux m’a fait oublier celui des monnaies.
Je chevauchais vers la Flandre avec les armées du roi. Nous allions faire rendre gorge au comte Gui de Dampierre qui avait noué alliance avec Édouard I er d’Angleterre, après avoir refusé de comparaître, comme vassal, devant la cour royale.
Dampierre avait touché pour cette félonie trois cent mille livres avec lesquelles il avait recruté des chevaliers et des piétons soldés, des soudoyers allemands, brabançons et lorrains. Il comptait sur le comte de Bar, le duc de Brabant, le roi d’Allemagne, Adolphe de Nassau, et le comte Guillaume de Hollande.
J’ai admiré le calme de Philippe le Bel auquel on annonçait le rassemblement des contingents ennemis et qui continuait de chevaucher, impavide, sûr de notre force, et je retrouvais à ses côtés la joie d’être son vassal.
Il était un grand roi : pouvais-je lui reprocher sa prudence, son habileté, son souci de remplir les coffres du Trésor avant de partir en guerre ?
Nous assiégeâmes Lille.
Et de la plupart des villes de Flandre, à l’exception de Gand, vinrent des contingents de milice qui soutenaient le roi
de France, se disant « gens de lis », Leliaerts , et soldés par les bourgeois des villes, ces patriciens qui refusaient de suivre Gui de Dampierre.
Le roi me demanda de rejoindre l’armée de Robert d’Artois qui affrontait les contingents allemands et brabançons qui s’étaient alignés devant la ville de Furnes, le 20 août 1297.
Nous chargeâmes ces piétons et chevaliers qui n’attendirent pas que nous eussions atteint
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