Le Roman des Rois
éperons des deux jeunes gens arrogants qui s’avancent vers le vieux roi.
On s’observe, les chevaliers de chaque camp ont les doigts serrés sur le pommeau de leur glaive.
Henri invoque les voeux de l’Église.
Le légat du pape s’élève contre cette guerre sacrilège entre chrétiens alors que l’énergie de chaque fidèle devrait être
tout entière consacrée à la croisade, à la reconquête de Jérusalem et de la Terre sainte.
Si Richard y part, fait observer Philippe, il faudra, selon toute justice, que Jean sans Terre l’accompagne.
Henri refuse.
On s’injurie. On s’éloigne en se maudissant. On jure de recommencer la guerre, ce jugement de Dieu.
On se pourchasse, on se bat en Touraine et dans le Maine. Philippe Auguste soumet tout le pays entre Le Mans et Tours.
Le 30 juin 1189, Henri II, saisi par la fièvre, n’est plus qu’un vieil homme qui s’obstine encore à ne pas capituler. Mais Philippe Auguste, intraitable, refuse qu’aux termes d’un traité de paix figure, sous les signatures, cette phrase exigée par Henri II : « Sauf notre honneur, l’intégrité et la dignité de notre couronne. »
Il faut cependant se soumettre. Henri II obtient seulement que Philippe Auguste lui remette la liste des seigneurs qui l’ont abandonné.
Philippe accepte de rencontrer Henri II, le 4 juillet, à Colombiers, entre Azay-le-Rideau et Tours.
Le ciel est serein, mais quand les rois s’en vont l’un vers l’autre, deux coups de tonnerre déchirent le silence et le ciel bleu, comme si un grondement céleste venait rappeler que le Très-Haut observe et juge.
Henri est malade comme il ne l’a jamais été.
« Sa douleur était telle que sa figure rougissait et bleuissait tout à tour », dit Eudes de Thorenc. On le couche. Il dit que le « mal cruel l’a saisi aux talons, a pris ses deux pieds, puis les jambes, puis tout le corps ».
– Je n’ai jamais souffert comme je souffre, murmure-t-il.
Il réussit enfin à se redresser pour recevoir Philippe Auguste :
– Sire, dit le roi de France, nous savons bien, que vous ne pouvez tenir debout.
D’un geste, Henri refuse le siège qu’on lui propose.
Il est contraint de verser une contribution de guerre, de céder Issoudun et la suzeraineté sur le comté d’Auvergne. Alix est enlevée à sa garde. Il est tenu de se « soumettre au conseil et à la volonté du roi de France ».
Les rois jurent par ailleurs que la croisade aura lieu à la mi-carême de l’an 1190, et que l’on se réunira à Vézelay.
Mais la mort guette le roi d’Angleterre.
Elle s’approche sous les traits d’un officier qui lui apporte la liste de ceux qui l’ont trahi.
– Sire, dit le messager, que Jésus-Christ me vienne en aide ! Le premier dont le nom est écrit n’est autre que le comte Jean sans terre, votre fils !
– Assez, vous en avez assez dit ! murmure Henri II.
Il se retourne sur sa couche, frissonne, le visage tour à tour empourpré, puis pâle et noir.
Il est sourd et aveugle. Il n’a plus ni mémoire ni langage. Il marmonne des miettes de mots que nul ne comprend.
Le lendemain 5 juillet, il retrouve pour quelques heures la raison, serrant contre lui son bâtard, Geoffroy.
« Toi, au moins, tu m’as toujours témoigné la fidélité et la reconnaissance que les fils doivent à leur père, lui dit-il. Si je meurs sans te récompenser, je prie Dieu de t’accorder ce que tu mérites. »
Le 6 juillet, on le porte dans la chapelle du château. Il veut se confesser, prononce quelques mots. Mais « le sang se figea dans ses veines ; la mort lui creva le coeur. Un caillot de sang lui sortit du nez et de la bouche ».
Les valets alors se précipitent, pillent la chambre royale.
« Quand les voleurs eurent happé ses draps, ses joyaux, son argent, autant que chacun en put emporter, le roi d’Angleterre resta nu comme il était lorsqu’il vint au monde, fors ses braies et sa chemise. »
Un baron couvre le corps de son manteau.
Le 7 juillet 1189, on le porte à l’abbaye de Fontevrault. Plusieurs milliers de mendiants réclament à grands gestes et à cris rauques l’aumône que, selon la tradition, on donne aux misérables le jour de l’inhumation d’un souverain.
Mais le Trésor est vide.
Et seules les religieuses de l’abbaye traitent ce corps avec les honneurs dus à Sa Majesté Royale.
Richard Coeur de Lion est enfin venu voir le corps de son père.
Eudes de Thorenc
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