Le Roman des Rois
capétiens et chroniqueurs.
Et je le suis aussi, moi, Hugues de Thorenc, qui, à soixante-six ans, ai entrepris la tâche, alors que règne Philippe V le Long, de rédiger cette chronique dont les trois piliers majeurs sont les vies de Philippe II Auguste, le Conquérant, Louis IX, le Croisé, et celui que j’ai nommé Philippe IV le Bel, l’Énigmatique.
Mais si ma main tremble et ma vue se brouille, c’est que Louis IX le Croisé est plus que l’un des trois piliers, plus qu’un roi fondateur : il est la cathédrale capétienne. C’est lui qui fit construire la Sainte-Chapelle pour accueillir des saintes reliques, dont la couronne d’épines du Christ martyr.
Lui-même est le roi martyr, mort sur la terre infidèle du royaume de Tunis, le 25 août 1270.
Il est Saint Louis, canonisé le 9 août 1297 durant le règne de son petit-fils Philippe IV le Bel, l’Énigmatique.
J’étais alors déjà vieux de quarante et une années.
Mon père était mort depuis vingt-six ans déjà. Il avait trouvé la force, malgré les fièvres qui souvent le terrassaient, d’accompagner le corps de son roi de Carthage à Saint-Denis où Louis de Poissy, son « suzerain, frère royal devant Dieu », fut enseveli le 22 mai 1271.
Et lui, Denis, comte de Thorenc, mourut la même année, le 8 septembre.
En 1271, j’avais quinze ans et je n’imaginais pas que Dieu me laisserait vivre assez longtemps pour que je servisse successivement Philippe III le Hardi, Philippe IV le Bel, l’Énigmatique, Louis X le Hutin, et Philippe V le Long.
Ma main tremble et ma vue se brouille, mais j’écrirai cette chronique.
J’ai lu celle que Jean de Joinville, sénéchal de Champagne, a remise en 1309 à Jeanne de Navarre, épouse de Philippe le Bel.
Joinville avait été le plus proche compagnon de Saint Louis.
J’ai aimé cet homme mort il y a cinq ans seulement, en 1317, qui parlait avec piété de Saint Louis, mais aussi de mon
père qu’il avait côtoyé au temps de la première croisade du roi Louis, en 1248.
Mais Jean de Joinville n’avait pas accompagné Louis IX lors de la deuxième croisade, en 1270, qui vit mourir le roi en saint martyr.
Mon père, lui, était à son chevet.
Il fut aussi le chroniqueur du règne de son « suzerain et frère royal devant Dieu », Louis le Croisé et le Saint.
Ses écrits, et les récits qu’il me fit dès qu’à cinq ans je fus en âge de l’entendre et de me souvenir, me guideront.
Je prie Dieu qu’Il tienne ferme ma main et éclaircisse ma vue.
41.
J’ai d’abord pensé, guidé par l’esprit de Dieu, à cette mère, Blanche de Castille, qui, les yeux fermés, le visage creusé par la douleur et couvert de sueur, mord dans un foulard rouge.
Des femmes s’affairent autour d’elle. On apporte des bassines d’eau chaude.
Au fond de la chambre se tiennent des chevaliers et l’époux de Blanche, qui sera Louis VIII, roi de France, à la mort de son père régnant, Philippe II Auguste, le Conquérant.
Les femmes chuchotent, les hommes parlent haut. Ils ne se taisent qu’au moment où les cris de l’enfant emplissent la pièce, que les matrones aux bras nus montrent le nouveau-né, que chacun voit qu’il s’agit d’un mâle.
Il sera Louis le Neuvième du nom.
Mais qui peut savoir, hormis Dieu, que cet enfant né à Poissy le 25 avril 1214 sera sacré à Reims le 29 novembre 1226, qu’il mourra en croisade, à Carthage, le 25 août 1270, et qu’il sera canonisé le 9 août 1297 ?
J’ai cru que sa naissance avait été reçue comme le signe de la bienveillance de Dieu, que l’on avait perçu, dans l’enfant Louis, le roi Louis IX et Saint Louis.
Puis j’ai écouté mon père, Denis de Thorenc. Et j’ai lu ensuite Jean de Joinville.
J’ai appris que Louis n’était pas l’aîné de l’union féconde de Blanche de Castille et du prince Louis le Huitième.
On les avait unis en 1200 alors qu’ils avaient à peine une douzaine d’années. Des enfants leur étaient nés mais étaient morts. L’aîné, Philippe, survivait et il était celui qui devait succéder un jour à son père, le futur Louis VIII, et à son grand-père, Philippe II Auguste, le Conquérant.
Mais Dieu décide.
L’aîné des enfants de Blanche de Castille meurt en 1219, et c’est Louis de Poissy qui devient l’héritier du trône de France.
Deux corps royaux vivants sont sur son chemin.
Dieu choisit de les rappeler à Lui.
Mort de Philippe
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