Le Roman des Rois
souvinrent de ce 25 avril 1214, jour de naissance et de baptême de Saint Louis :
« Ainsi j’ai ouï-dire au roi, me rapportèrent l’un, puis l’autre, qu’il naquit le jour de saint Marc l’Évangéliste, après Pâques.
« Ce jour, on porte des croix aux processions en beaucoup de lieux, et en France on les appelle les croix noires.
« Ce fut donc comme une prophétie de la grande foison de gens qui moururent dans ces deux croisades, c’est à savoir dans celle d’Égypte, en 1248, et dans l’autre, là où le roi Louis IX mourut en saint, à Carthage, le 25 août 1270.
« Car maints grands deuils en furent en ce monde, et maintes grandes joies en sont au paradis pour ceux qui, dans ces deux pèlerinages, moururent vrais croisés. »
Je n’avais pas imaginé que la funèbre croix noire, celle des saints martyrs, pût être, de l’avis même de proches du roi, le signe du règne de Saint Louis.
42.
Cette croix noire, celle du deuil, j’ai su que Louis la porte alors qu’il n’est qu’un enfant d’à peine cinq ans.
Blanche de Castille se penche sur son fils, l’invite à s’agenouiller près d’elle, à prier pour que Dieu accueille auprès de Lui l’aîné, Philippe, qui vient de mourir, lui laissant la place d’héritier du royaume.
Puis, le 14 juillet 1223, c’est Philippe Auguste que la mort emporte. Ce grand-père avait enseigné à Louis, puisque un jour l’enfant de neuf ans monterait sur le trône de France. Et Louis, en 1270, peu de temps avant sa propre mort, se souviendra, pour son fils qui deviendra Philippe III le Hardi, des propos de son grand-père :
« Je veux que tu te rappelles une parole du roi Philippe Auguste, mon aïeul, qu’un membre de son Conseil, qui l’avait entendue, me rapporta :
« Le roi était un jour avec son Conseil privé et ceux de son Conseil lui disaient que les clercs lui faisaient beaucoup de tort et que l’on s’étonnait de la façon dont il le tolérait.
« Et il répondit : “Je sais bien qu’ils me font beaucoup de tort, mais quand je pense aux honneurs que Notre Seigneur m’a faits, je préfère supporter mon dommage plutôt que de causer un esclandre entre moi et la Sainte Église.” »
Louis est un enfant nourri de foi et de respect, mais, maintenant qu’il est l’aîné, il fait l’objet de toutes les attentions de sa mère.
Mon père, Denis de Thorenc, en est témoin, et, à la veille de son trépas, en 1271, un peu plus d’un an après celui de Louis, il me racontait comment Blanche de Castille lui faisait écouter, « tout enfant qu’il était, toutes les messes et les sermons aux fêtes ». Elle voulait qu’il éprouvât du dégoût et de la haine pour le péché mortel.
« J’étais le compagnon de Louis, son vassal, frère devant Dieu, racontait mon père. Nous étions entourés de clercs qui nous lisaient La Cité de Dieu de saint Augustin, nous conduisaient aux écoles des dominicains de Compiègne. Nous suivions leurs leçons et leurs sermons.
« Nous jouions avec Robert, Isabelle, Alphonse, Charles, les frères et la soeur de Louis. Nous nous lamentâmes quand l’un de ses frères, Étienne, mourut.
« Sa mère était encore grosse de Charles lorsque, le 8 novembre 1226, Louis VIII fut rappelé à Dieu. Et Louis de Poissy devint roi, chargé de cette nouvelle croix noire, car Louis était le fils le plus aimant de son père.
« Je l’ai vu, agenouillé, le visage dans ses mains, devant l’autel de la chapelle du Louvre, le corps secoué de sanglots.
« Il était Louis IX, il avait douze ans. Blanche de Castille était la régente. J’ai entendu sa mère lui dire :
« “Mon fils, la Providence se sert de moi pour veiller sur ton enfance et te conserver la couronne. J’ai le droit de te rappeler les devoirs d’un monarque et les obligations que t’impose le salut du royaume à la tête duquel Dieu t’a placé. Mais je parlerai devant toi avec la tendresse d’une mère.” »
Je n’ai jamais rencontré cette mère devenue régente. Je suis né en 1256, elle est morte en 1253 alors que Louis était encore en Terre sainte. Mon père était présent à Jaffa quand un chevalier vint apporter au roi la sinistre nouvelle.
Le visage de Louis se vida de son sang, il tomba à genoux et commença à prier.
Il sembla à mon père qu’il devait ranimer l’âme du roi face à ce que Dieu décide, et que chaque humain doit subir et accepter sans révolte. Il dit au
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