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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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loin le plus âgé du trio, il jouait volontiers les modérateurs entre le Français et l’Indien bien plus fougueux et « soupe au lait » que lui.
    —  Encore en train de vous crêper le chignon ! J’aimerais que nous arrivions à travailler dans une atmosphère plus sereine ! Entre associés, un minimum de fair-play est nécessaire ! tempêta l’ancien chef comptable de Jardine & Matheson. Comment s’est passé ton séjour à Pondichéry   ?
    —  À Pondichéry, ce fut plutôt calme. En revanche, à Madras, au moment d’embarquer la marchandise, l’ambiance était des plus chaudes. Les mercenaires indiens employés par l’armée britannique des Indes pour mater les insurrections tamoules ont failli jouer un tour pendable à leur commandement ! lâcha Jarmil, mi-figue, mi-raisin.
    —  Ils se sont mutinés   ?
    —  Pratiquement ! Les mercenaires refusaient d’obéir à la trentaine d’officiers censés les commander ! Leurs meneurs prétendaient qu’on les poussait au blasphème en les obligeant à enduire d’un mélange de suint de porc et de graisse de vache les cartouches des fusils Enfield flambant neufs qui leur avaient été distribués la veille.
    —  Les Hindous et leurs vaches sacrées… je vois d’ici le problème… plaisanta Stocklett d’un ton aigre.
    —  Vous n’y êtes qu’à moitié, Nash : dans les milices indiennes, il y a aussi des soldats de confession musulmane ! Les mercenaires ne lâchèrent prise que lorsque le colonel leur promit qu’à l’avenir on leur fournirait de l’huile de palme pour graisser leur armement… précisa, le plus sérieusement du monde, le Pondichérien, qui n’avait jamais pu se résoudre à tutoyer l’Anglais.
    —  On dit aussi que les Indiens n’en peuvent plus des humiliations que leur font subir les agents de la Compagnie des Indes orientales. Vous autres, Anglais, quand vous mettez le pied quelque part, vous n’y allez pas de main morte… fit le Français qui ne détestait pas taquiner son partenaire, avant de replonger le nez dans ses livres de comptes.
    Jarmil regarda sa montre, leva les yeux au ciel et déclara à ses deux associés :
    —  Il va bientôt être cinq heures. Je dois aller retrouver Arturo.
    Arturo Ramos était le contremaître timorien qui chapeautait la vingtaine de magasiniers dont la tâche consistait à ranger la marchandise dans le hangar de la compagnie V.S.J. & Co. L’exiguïté de celui-ci les obligeait à le vider entièrement à chaque arrivée d’une nouvelle cargaison d’opium. Afin d’être expédiées en Chine les premières, les caisses provenant des précédents voyages devaient en effet être stockées près de la porte.
    —  Cet Arturo… ne put s’empêcher de lancer Antoine.
    Depuis toujours, il suspectait de malhonnêteté ce petit homme basané au regard de fouine qui baragouinait l’anglais avec un accent portugais à couper au couteau.
    —  Pourquoi dis-tu toujours ça, Antoine   ? Tu deviens injuste ! Cela fait dix ans qu’Arturo travaille avec moi et je ne l’ai jamais pris en flagrant délit de malhonnêteté ! lâcha Jarmil, piqué au vif, avant de s’éclipser.
    —  Tu y es allé un peu fort… Si tu avais vu son expression, quand il est parti ! dit Nash en ouvrant la porte-fenêtre qui donnait sur le balcon envahi par les caoutchoucs et les bougainvilliers.
    Le Français, consentant à s’extraire de ses calculs de taux de marge, se leva et vint s’accouder auprès de l’Anglais à la petite rambarde de fer forgé du balcon de la terrasse, d’où la vue sur le port de Singapour était imprenable, dans son encadrement touffu de bractées mauves, roses et orangées. Après la relative fraîcheur qui régnait à l’intérieur de la maison, l’extrême moiteur de l’après-midi, si difficile à supporter, l’enveloppa de la tête aux pieds.
    —  Pour tout te dire, j’ai de moins en moins confiance en ce garçon ! Il ment comme il respire ! Je suis sûr qu’il nous bouffe la laine sur le dos.
    —  Tu exagères !
    —  Je suis sûr qu’au fond de toi, tu partages ce point de vue !
    Dès qu’ils abordaient le sujet « Jarmil », les deux hommes se chipotaient. Mais c’était moins à cause d’une différence de point de vue sur leur partenaire, puisqu’ils partageaient désormais la même défiance, qu’en raison de l’impasse dans laquelle ils avaient conscience de s’être mis, coincés dans le capital de la société

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