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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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jeune ami ! Ce serait la plus terrible des catastrophes pour ce pauvre pays qui n’a pas besoin de ça. Les Mandchous sont peut-être à la fois corrompus et assez nuls mais ils sont assurément moins fous que ces gens-là !
    —  Et moi qui pensais que vous étiez venu les assurer de la neutralité de la Grande-Bretagne ! soupira John, choqué et déçu par les derniers propos de Bonham.
    —  Les positions officielles de mon pays ne m’empêcheront jamais de garder mes opinions personnelles ! lâcha sir George, l’air pincé, avant de souhaiter bonne chance à cette tête brûlée de Bowles.
    Après que la silhouette de l’ Hermès eut achevé de se noyer derrière l’épais rideau de pluie et de brouillard tombé sur le Chang Jiang, John, qui marchait d’un pas rapide vers la nouvelle capitale du Céleste Royaume où l’attendait sa passionnante enquête, ne pouvait s’empêcher de se dire que le gouverneur de Hongkong était décidément sur une tout autre planète que la sienne…

 
    52
     
    Singapour, 29 avril 1853
     
    Antoine Vuibert sortit sa montre du gousset de son gilet. Elle marquait trois heures trente. Il ne s’était pas rendu compte que l’heure du déjeuner était passée. Quand il était plongé dans les comptes, il ne voyait pas tourner les aiguilles de l’horloge. Il se leva et se dirigea vers la porte-fenêtre qui donnait sur la terrasse. Il fit basculer les deux volets et aussitôt la petite île de Singapour lui apparut, déjà plongée dans l’atmosphère poudroyante d’un soleil torride bien que l’été fût encore loin. Comme s’il avait voulu mieux capter cette vue pour se l’approprier, il mit un pied dehors. Quoique doucement ombragée par les feuilles d’une glycine géante, la terrasse étouffait sous une chaleur suffocante. Au loin, la mer était vide, plate, comme laquée. Parfaitement immobile, tel un animal en hibernation. Sur le port, d’ordinaire fourmillant, il n’y avait pas l’ombre d’un coolie en vue. Quant aux bateaux encore au mouillage, dont les cales étaient remplies de cire et de tripang {42} de Timor, d’antimoine et d’or de Bornéo, de nacre et d’écailles de tortue de la mer de Soulou, et bien sûr de caisses d’opium indien, ils ne lèveraient l’ancre qu’à la nuit tombante, lorsque leurs équipages pourraient s’aventurer sur le pont sans craindre l’insolation. Plus près, à mi-pente de la colline où, noyés dans leurs jardins luxuriants peuplés de senteurs rares, s’étageaient les cottages de style anglo-indien des familles opulentes, il n’y avait pas plus âme qui vive. De l’autre côté, les silhouettes capricieuses de collines mousseuses et empanachées de palmes servaient d’arrière-plan à des rues vides, bordées de bananiers et de maisons basses, qui dévalaient des coteaux où le vert pré des champs de canne alternait avec le violet tirant sur l’orange des géraniums.
    Dans ce minuscule morceau d’Angleterre posé à l’extrémité de la presqu’île de Malacca, chacun affrontait comme il pouvait la fournaise tenace des premières journées vraiment chaudes, qui vous empêchait de mettre le nez dehors entre deux heures et quatre heures de l’après-midi.
    Mais comme ce n’était pas le moment de laisser batifoler son attention – en d’autres circonstances, Antoine eût été capable de contempler ce paysage ou de compter les arrivées et les départs des navires pendant des heures  –, il se hâta de regagner sa chaise, s’essuya le front puis, après avoir taillé son crayon, continua ses additions, prêt, s’il le fallait, à y rester vissé jusqu’au soir.
    Car il n’était pas question pour Antoine Vuibert de ne pas en avoir le cœur net.
    A cet instant, au milieu de ce bureau touffu, encombré jusqu’au plafond de livres de comptes et de registres commerciaux, où il se penchait des heures entières sur une table de travail de style chippendale, à manipuler un gros boulier chinois et à noircir des feuilles de chiffres, il était probablement l’un des seuls habitants de Singapour à ne pas faire la sieste. Le carillon de l’horloge du palais du gouverneur retentit de quatre coups, donnant à la ville assoupie le signal de la reprise d’une activité humaine qui irait crescendo jusqu’à minuit, où le couvre-feu obligerait les gens à rentrer chez eux et les maisons de passe comme les estaminets à fermer leurs portes.
    On frappa à la porte et la tête de Jarmil apparut.

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