Le sac du palais d'ete
loterie.
— Quand on fait carrière dans l’administration, il est normal de vouloir grimper les échelons, mais plus on monte dans la hiérarchie des concours, et plus les dés sont pipés ! Certains prétendent même que les places sont vendues aux enchères, s’exclama-t-il, volant au secours de son maître spirituel.
— À vrai dire, je ne suis pas sûre que mon neveu était fait pour la voie mandarinale…
— Il défend aujourd’hui une cause autrement plus noble et plus utile !
La vieille tante de Hong, qui venait de leur servir une nouvelle ration de riz cantonais, fit la moue.
— J’avoue ne pas toujours comprendre mon neveu. Parfois, il part dans des discours peu compréhensibles…
— Pour ce qui me concerne, je trouve ses propos lumineux ! Que leur reprochez-vous ?
— Il n’aime pas le Bienheureux Bouddha. Or, étant moi-même une fervente adepte de sa Sainte Loi, je crois en la Délivrance comme seule issue à la souffrance et au cycle des réincarnations sans fin auxquels tous les êtres vivants sont condamnés !
À plusieurs reprises, Mesure de l’Incomparable avait entendu Hong pester contre les Nobles Vérités du Bouddha, coupables à ses yeux d’asservir ses adeptes et qu’il qualifiait souvent de « Piteux Mensonges ».
— Son exaltation m’a toujours fait un peu peur. Il y a quelques années de ça, si vous l’aviez vu après ses fameux rêves… Il ressemblait à un tigre sauvage prêt à dévorer tout ce qui passe à sa portée ! poursuivit le petit bout de femme.
— Il rêvait ? s’enquit Jasmin Éthéré, de plus en plus étonnée par le comportement du fondateur de la Société des Adorateurs de Dieu.
— Presque tous les soirs ! Cela dura des mois. Il nageait en plein délire. Il racontait qu’ayant été reçu par Dieu en personne au paradis, ce dernier lui avait remis une longue épée pour trancher la gorge des démons malfaisants ! Un jour que son pauvre père – paix à ses cendres ! – l’avait enjoint de cesser de divaguer ainsi, Hong lui répondit qu’il n’avait aucun ordre à recevoir de lui car il n’était pas son fils mais celui de Dieu lui-même ! Quant à sa mère – qui était ma sœur aînée –, elle le surprit une nuit en train de peindre sur la porte de sa chambre les mots de « Souverain Quan, Céleste Roi de la Voie Suprême » ! Lorsqu’elle lui demanda la raison de ce geste, il lui répondit qu’il agissait sur ordre de Dieu ! Quand je vous dis que le comportement de Hong a toujours été bizarre, je pèse mes mots !
— Votre neveu cite sans cesse les Saintes Écritures. Où a-t-il pu les lire ?
Elle se dirigea vers une étagère, s’empara d’un modeste fascicule à moitié en lambeaux et le lui tendit.
— Il y a quatre ans de ça, mon neveu Hong a rencontré à Canton un nez long aux cheveux rouges qui portait une barbe très fournie {7} … Selon mon neveu, cet homme ressemblait au Dieu de la Bible, qui a aussi une longue barbe. C’est ce nez long qui fit cadeau à Hong de cette brochure… où le portrait de Dieu a été dessiné.
Le livre était intitulé Paroles de la sagesse destinées à convertir les gens. Son auteur, un certain Lian Afa, s’y présentait comme un Han qui avait été converti au christianisme dans un collège de Malacca. En feuilletant rapidement l’ouvrage, Mesure de l’Incomparable découvrit qu’on y assimilait l’« Empire du Milieu » au « royaume des cieux » et que les Chinois y étaient qualifiés de « race élue du Seigneur ». Ce Lian Afa, comme beaucoup d’autres, à commencer par les jésuites, dans l’espoir de faire mouche, avait lié à la sauce chinoise les grands thèmes du christianisme.
— Hong plongeait des heures dans sa lecture. Il lui arrivait même d’en déclamer des passages entiers à voix haute !
— Il aura donc tout fait pour vous convertir à ses vues sans pour autant y réussir, plaisanta le jeune lettré.
La vieille bouddhiste leva les yeux au ciel. Elle goûtait assez peu à ce salmigondis dont se délectait son neveu et auquel elle ne comprenait goutte.
— Il n’y a pas de jour de repos pour Hong… à l’exception du « sabbat ». Le samedi, il s’interdit de se livrer à une quelconque activité !
Le jour du « sabbat », et pour cause, ne figurant dans aucun almanach, Jasmin Éthéré n’avait jamais entendu dire qu’il existait des jours où il était interdit de
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