Le sac du palais d'ete
mêlaient aux pas précipités. Après cette première salve, le Français tendit le cou par-dessus l’armoire blindée. Ses deux accompagnateurs criblés de balles gisaient au sol dans une mare de sang. Arquebuse à la main, une dizaine d’hommes fit soudain irruption dans le consulat puis se rua vers le comptoir d’où le préposé avait disparu. Entièrement vêtus de blanc et le front ceint d’un bandeau jaune, les assaillants portaient également un sabre à la ceinture. Trois d’entre eux sautèrent par-dessus la banque. Antoine vit s’abattre leurs épées, tandis que le reste des assaillants se précipitait dans l’escalier et gagnait le premier étage. Lorsque la pièce fut vide, le Français passa derrière le guichet et buta sur la tête du préposé consulaire. Il faillit vomir lorsqu’il découvrit son corps un peu plus loin. Le petit homme chauve avait été sauvagement décapité. Antoine reprenait peu à peu ses esprits lorsqu’une nouvelle projection de mitraille déchira l’air. Quelques instants plus tard, alors qu’il s’était recroquevillé contre le comptoir, il vit apparaître une nuée de policiers impériaux, reconnaissantes à leur tenue bleue et à leur brassard rouge. Ils devaient être une bonne trentaine, armés de fusils et de lances, à être entrés dans le consulat avant de s’engager à leur tour dans l’escalier.
Le Français demeura de longues minutes sans bouger, de peur d’éveiller l’attention des uns ou des autres.
À l’étage, le combat faisait rage entre les policiers et les hommes en blanc. Les coups pleuvaient de toute part. Les doigts pressaient les détentes et les lames s’enfonçaient dans les poitrines et dans les gorges. Mais la police avait le double avantage du nombre et de l’armement. Le consul d’Angleterre, que les assaillants avaient eu le temps d’extraire de son bureau à l’intérieur duquel il s’était barricadé, n’avait été que légèrement molesté. Charles Elliott, qui en avait pourtant vu d’autres, s’était réfugié, commotionné et hagard, sur la terrasse d’où il assistait, protégé par trois policiers, au terrible spectacle de ces Chinois qui se massacraient entre eux.
Après s’être redressé, hébété, Antoine tomba nez à nez avec un brassard rouge.
— Je suis lieutenant de police ! Nous venons libérer les otages ! lui expliqua le flic avant de l’inviter à le suivre au premier étage.
Les cadavres d’hommes en blanc jonchaient le sol. Pas un d’entre eux n’avait survécu. Les impériaux n’étaient pas du genre à faire de quartier. C’est alors que le regard du Français croisa celui d’Elliott Le consul vint aussitôt à sa rencontre. Quoique ayant perdu de sa superbe, avec ses cheveux ébouriffés, son col de chemise arraché et un œil au beurre noir, l’ancien héros militaire de Sa Majesté Victoria, souveraine de Grande-Bretagne et du Commonwealth, s’efforçait, « comme il se doit en toutes circonstances », de faire bonne figure.
— Nous l’avons échappé belle ! souffla, hors d’haleine, le consul en s’époussetant.
— Ces gens étaient féroces comme des tigres ! Heureusement que nous étions prévenus de l’attaque de votre consulat par des membres de la secte du Grand Jaune, expliqua le lieutenant de la police impériale.
— Vous auriez au moins pu nous avertir ! lâcha, furieux, Charles Everett Elliott que sa femme, éplorée et en sueur, venait de rejoindre.
— L’important est que nous ayons pu les surprendre ! rétorqua sèchement l’officier, pas impressionné pour deux sous par l’ancien héros de l’armée britannique.
Après s’être longuement essuyé le visage avec la serviette imbibée d’eau de Cologne que lui avait tendue Rosy, le consul dévisagea Antoine d’un air lourd.
— Qui êtes-vous ? Il me semble bien vous avoir déjà vu quelque part, lui lança-t-il.
— Antoine Vuibert. Je suis déjà venu ici avec M. Niggles ! répondit le Français qui n’avait plus aucune raison de continuer à mentir.
— Diantre ! Mais oui ! Je m’en souviens parfaitement…
— Moi aussi ! Comment allez-vous, cher monsieur ? lança, à son tour, Rosy, qui n’avait pas tardé à reprendre ses manières de femme du monde.
— Et quel bon vent vous amène ici ? ajouta son mari sur un ton enjoué.
— Je venais me renseigner sur les procédures de dédouanement, bredouilla le Français sans plus
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