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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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vers les cimes bleutées, encore embrumées et comme assoupies de bonheur, des montagnes environnantes. Elle venait à peine de passer le seuil que son pied buta contre un panier d’osier. Des cri stridents fusèrent aussitôt qui la firent sursauter. Elle crut d’abord à un animal tapi dans le champ de canne qui s’apprêtait à bondir sur ses épaules. Mais les vagissements provenaient du couffin sur lequel elle se pencha aussitôt, anxieuse de savoir ce qu’il contenait. Il était recouvert d’un linge qu’elle écarta doucement. Au fond du panier, il y avait un bébé joufflu et entièrement nu qui battait des jambes. Sans hésiter, Jasmin Éthéré le prit dans ses bras et constata qu’il s’agissait d’une petite fille. Elle ne devait guère avoir plus de deux ou trois mois. Elle caressa doucement le front de l’enfant. Aussitôt, il cessa de pleurer. Le bébé, petite boule chaude et vibrante blottie contre sa poitrine, cherchait désespérément à la téter. Son nez et sa bouche fouillaient à l’aveuglette entre les plis de sa blouse entrouverte. Pour la calmer, elle lui donna un sein sur lequel l’enfant se jeta avec voracité. La succion, d’une extrême légèreté, provoquée par les lèvres du nourrisson qui s’acharnait à lui tirer du lait, lui procura une onde de plaisir…
    Déjà, telle une mère et sa fille, elles ne faisaient plus qu’une…
    —  Ne t’inquiète pas, ma petite fleur… Je vais te trouver une poitrine plus remplie que la mienne, murmura-t-elle avec une infinie tendresse avant de se ruer chez Étoile Majeure de l’Ouest.
    —  Regarde ce que j’ai trouvé devant la maison ! s’écria-t-elle, euphorique, en déboulant chez la vieille bouddhiste qui était en train de rallumer son feu.
    —  Je parie que c’est une fille ! Deux ou trois fois par an, des gens nous en déposent. Quand c’est en plein hiver ou qu’il pleut, elles ne survivent pas et il arrive que leurs petits cadavres soient dévorés par des cochons…
    La contorsionniste posa le nourrisson sur le lit de la vieille femme et entreprit de le frotter doucement avec un linge humide.
    —  Foi de Jasmin Éthéré, il n’est pas encore né, celui qui osera te bander les pieds ! murmura-t-elle à l’oreille de cette enfant tombée du ciel.
     

 
    33
     
    Canton, 8 juillet 1847
     
    Le rouquin suait à grosses gouttes. Agité de tremblements, le visage grimaçant et défait, il étendit tant bien que mal un bras couvert de pustules pour faire signe à Laura Clearstone d’approcher. La jeune femme, qui avait déjà préparé son plateau et le surveillait du coin de l’œil depuis un petit moment, s’exécuta. Étant payée pour satisfaire le moindre désir des clients et leur faire dépenser le plus d’argent possible, elle se força à penser que le consommateur était toujours roi quel que fût le commerce… Lorsque, réticente malgré un sourire crispé, elle passa une tête dans le box occupé par ce Hollandais, l’odeur nauséabonde qui y régnait lui déclencha un violent spasme de nausée. Elle mit la main devant sa bouche afin d’éviter de rendre la gorgée de thé qu’elle avait ingurgitée quelques instants plus tôt pour se donner du cœur à l’ouvrage.
    —  Je veux autre dose et vite ! marmonna l’homme d’une voix pâteuse, dans un mauvais anglais au fort accent batave.
    Devant le vilain box où cette loque humaine achevait de se consumer comme une mèche qui n’a plus d’huile, un Chinois dégingandé, au visage émacié et à l’œil torve, qui lui servait de factotum-interprète montait on ne sait trop pourquoi la garde. La jeune femme savait fort bien que le Hollandais lui réclamerait une dernière boulette à placer dans le minuscule fourneau de sa pipe.
    Tous les clients nez longs procédaient de la même façon. Contrairement aux Chinois qui se contentaient d’une ou deux prises, ils étaient capables d’en prendre trois, voire quatre d’affilée. La plupart s’effondraient, plongeant dans une torpeur comateuse. Les autres, plus résistants, restaient réveillés mais se tordaient de douleur.
    Inutile de préciser que pas un seul d’entre eux ne sortait de la fumerie en bon état. Malgré ces mauvais souvenirs, ils y revenaient tous sans exception, y compris ceux qui en étaient à leur première expérience et s’étaient juré qu’ils n’y remettraient jamais les pieds, car l’accoutumance avait déjà déployé ses redoutables mécanismes

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