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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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dans la semi-pénombre de sa chambre à l’angle de laquelle brillait un lumignon, par un mouvement soudain, elle se jeta à plat ventre sur le lit qui paraissait s’écraser sous ses lourdes étoffes. Tandis que le flot de sa chevelure lui recouvrait tout le dos d’un ondoiement d’or et de cuivre, du fond de la nuit de ses yeux fermés surgit l’image obsédante de son amant disparu. Son cœur battait de coups inégaux en même temps qu’un cri intérieur la déchira, transformant en un spasme violent ce qui avait commencé par un imperceptible pincement au cœur :
    La Pierre de Lune ! Le seul homme qu’elle avait vraiment aimé ! Le seul être qu’elle rêvait si fort de continuer à aimer encore et toujours !
    Reviendrait-il, enfin   ?

 
    64
     
    Nankin, 21 octobre 1854
     
    Ce matin-là, tout d’un coup, en se levant, Laura Clearstone sentit en plein cœur de l’automne, comme au cœur d’un fruit la piqûre du ver dont il mourra, la présence rafraîchissante de l’hiver. C’était, sur cette journée qui succédait à une période encore humide et tiède, un grand souffle d’air frais qui s’abattait. Nankin ne connaîtrait pas ses premiers frimas avant un mois et pourtant ils étaient là, déjà, sous-jacents à ce début de bise dont la jeune femme ressentit les effets – un léger picotement des joues et du bout du nez  – sur son visage dès qu’elle posa un pied dehors.
    Laura, qui s’était mise à élaguer un érable dont les feuilles rouges, telles des larmes de sang, jonchaient le sol, se souviendrait longtemps du visage fermé, méconnaissable, sévère et implacable, de Xuanjiao lorsqu’elle vint lui annoncer :
    —  Il faut préparer tes bagages, Laura. Le Tianwan a ordonné l’évacuation des femmes et des enfants de moins de dix ans de la Capitale Céleste ! Demain, la ville ne devra être habitée que par les mâles en âge de combattre.
    Dans Nankin, où l’on croisait de plus en plus de gens hâves et maigres comme des squelettes, la famine commençait à sévir. Bientôt, si rien n’était entrepris, nul doute qu’elle ferait des ravages… Cela faisait plusieurs jours que les étals des magasins alimentaires et des marchands ambulants étaient vides. Pour éviter les émeutes, tous les grands marchés de la ville avaient été fermés et la recette du « repas de famine », cette soupe à base de feuilles d’ortie, de tiges de sorgho et d’écorces tendres de peuplier ou de mûrier, avait été placardée aux murs des bâtiments publics. Il faut dire que les temps devenaient particulièrement durs pour la folle entreprise de Hong Xiuquan. Après trois semaines d’un siège effroyable par les troupes mandchoues, la chute, le 1 er mai précédent, de Xiangtan, une importante ville du Hunan où plus de dix mille Taiping avaient péri, avait sonné le glas de la conquête de cette province.
    —  Tu as préparé tes affaires   ?
    De la tête, la sœur de Hong fit un « non » énergique.
    —  Tu n’es donc pas obligée de quitter la Céleste Capitale   ?
    —  Mon frère me l’a interdit ! Pour Hong, il y a belle lurette que je ne suis plus une femme… J’ai tout sacrifié au Céleste Royaume ! gémit Xuanjiao, tendue à l’extrême et prête à craquer.
    Laura s’approcha de son amie afin de la serrer dans ses bras mais celle-ci la repoussa avec violence.
    —  Tu as l’air contrariée !
    —  On le serait à moins !
    —  Explique-toi, Xuanjiao… Je ne te veux que du bien !
    —  Je n’ai rien de plus à te dire… Je fais partie de ceux auxquels toute révolte est interdite… soupira, au bord des larmes, celle qui avait retrouvé son poste de commandant en chef de l’armée des femmes depuis que l’étau mandchou avait commencé à se resserrer autour du Tianwan, obligeant les Taiping à mobiliser toutes leurs forces.
    Soudain, Laura pensa au Prince de l’Orient, avec lequel Xuanjiao avait officialisé sa liaison. Quelques semaines auparavant, la rumeur avait couru qu’il lui avait fait donner dix coups de bâton pour indocilité à son égard et qu’elle en avait été fort marrie {69} .
    —  J’ai beaucoup d’estime pour toi. Je voudrais tant que nous restions amies.
    —  Entre amies, il ne saurait y avoir de trahison !
    À ces mots, Laura comprit soudain la raison de la colère de son amie.
    —  Tu te méprends, Xuanjiao. Ce n’est pas parce qu’un homme fait la cour à une femme que celle-ci succombe

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