Le sang de grâce
épaisse soie
de Gènes.
Elle précéda Jeanne d’Amblin dans sa
chambre et désigna le vêtement d’un petit geste nerveux. La robe, ourlée de
vair, était magnifique au point que Jeanne en eut le souffle coupé. Elle tendit
la main, mais un instinct soudain suspendit son geste. Elle se tourna d’un bloc
vers l’abbesse de comédie et lança, cinglante :
— On m’a narré les effets
dévastateurs de certains poisons de contact, qui défigurent et achèvent leurs
victimes dans d’affreux et lents tourments.
Un fugace sourire éclaira le visage
de madame de Neyrat qui commenta :
— Si j’avais dans l’idée de
vous expédier prématurément vers un monde réputé meilleur, j’attendrais
auparavant d’être entrée en possession des ouvrages. Toutefois, vous avez
raison, on n’est jamais trop prudent de nos jours.
Elle souleva à deux mains la soie
précieuse, y plongea son visage avant de l’offrir à Jeanne.
— Cette petite expérience
devrait vous avoir tout à fait rassurée, n’est-il pas vrai ?
— En effet. Puis-je disposer de
quelques instants de solitude afin de me vêtir ?
— Certes, votre pardon. Où
avais-je la tête ? Appelez-moi lorsque vous l’aurez passée. J’ai dans
cette malle un manteau fourré de lynx qui devrait vous satisfaire, proposa
l’abbesse. Ah, j’oubliais, la robe est taillée à la mode italienne, avec un
laçage dans le dos qui ferme par deux agrafes orfévrées. Quant aux manches très
évasées, elles sont de la dernière élégance. Voyez… insista madame de Neyrat en
désignant les épaules. Elles-mêmes sont joliment agrafées à l’aide de broches
d’argent afin d’être changeables [95] .
On peut ainsi devenir capricieuse et modifier son allure au gré de l’humeur,
sans bouleverser son vêtement. Ah, et ceci, s’extasia Aude en extirpant une
sorte de ravissante coiffe ronde d’une malle. Les élégantes italiennes ne
jurent plus que par ce touret qui complète avantageusement le voile et couvrira
votre crâne rasé. J’avoue qu’il est encore un peu tapageur en notre beau mais
austère royaume, cependant, je gage qu’il s’imposera bien vite [96] .
— Je… je n’ai pas réclamé le
couteau depuis longtemps, avoua Jeanne, embarrassée. Enfin… mes cheveux ont
repoussé.
— Femme prévoyante, pouffa Aude
en se retirant.
Jeanne soupesa l’étoffe luxueuse.
Une joie enfantine lui donnait envie de danser. Elle serait riche dans quelques
heures et pour la première fois de sa vie, elle allait revêtir des vêtements de
fille de roi. Le monde s’ouvrait enfin pour elle. On allait la saluer d’un
petit mouvement de tête révérencieux dans les rues, les gamines se plieraient
en révérence devant elle, les conversations cesseraient lorsqu’elle paraîtrait.
Sans être une beauté comme madame de Neyrat, elle était avenante, de fine
silhouette, et de tels ornements de dame auraient pu rendre élégante une
génisse. Elle fit glisser sa bure détestable et passa la robe. Un frisson de
plaisir lui remonta jusqu’au cou lorsqu’elle caressa les délicates broderies au
fil d’or qui couraient tout le long des manches. Mon Dieu… un manteau de lynx…
Jeanne se tortilla afin de parvenir
à agrafer le dos de la robe et les manches, en vain. En désespoir de cause,
elle appela madame de Neyrat. Sa mauvaise humeur ne dura pas. N’était-il pas
savoureux que cette femme arrogante devinsse, même pour quelques instants, sa
suivante ?
Madame de Neyrat s’exécuta avec
grand naturel. Elle tira les manches aux épaules et les attacha. Elle passa
ensuite derrière Jeanne afin de lacer le dos du vêtement. Le frisson qui
parcourut alors la tourière n’avait plus rien de délicieux. Trêve de sornettes.
L’abbesse du camerlingue n’en profiterait pas pour la pourfendre d’une lame.
Elle voulait d’abord les manuscrits. Pourtant, une douleur aiguë la fit crier
et bondir vers l’avant.
Elle se tourna d’un bloc vers
l’autre femme, prête à se jeter sur elle afin de lui arracher sa dague ou son
stylet.
Madame de Neyrat était livide, et la
seule arme qu’elle tenait était une des longues agrafes pointues du col, rougie
de sang. Elle balbutia :
— Dieu du ciel… je suis désolée
de ma maladresse. Ces choses sont redoutables ! De grâce, laissez-moi
voir.
Maintenant que la terreur de Jeanne
s’était évanouie, la douleur irradiait jusque dans ses omoplates. Elle sentit
la lente glissade tiède d’un filet
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