Le sang de grâce
de sang le long de sa colonne vertébrale.
L’autre l’avait-elle fait délibérément ? Pourquoi ?
— Quelle profonde estafilade,
ma chère. Me pardonnerez-vous ? Il faut soigner cette entaille aussitôt.
J’ai ce qu’il vous faut, annonça madame de Neyrat en fourrageant dans un petit
coffre de cèdre poussé sous une étroite fenêtre. Cet onguent qui me vient
d’Asie protège des suppurations et facilité la cicatrisation. Il pique un peu
lors de l’application, mais ce désagrément cesse vite.
Elle ouvrit la petite calotte
d’argent qui scellait l’ampoule de verre épais et fit mine de s’approcher de la
plaie qui tirait une grimace de douleur à Jeanne. La tourière recula de deux
pas.
— Ne me touchez pas.
— Je souhaite juste vous aider,
soulager votre douleur.
Jeanne d’Amblin fixait la fiole, un
air de soupçon sur le visage.
— Ah non… vous croyez encore
que je cherche à vous empoisonner ? Tenez, voici qui devrait vous
rassurer. Approchez.
La tourière obtempéra. Aude de
Neyrat inclina l’ampoule vers sa paume. Un filet visqueux, blanchâtre,
s’écoula, formant bientôt, au creux de sa main, une minuscule mare évoquant le
blanc d’œuf.
— Voyez, je ne suis toujours
pas morte. Poussons la démonstration plus loin.
Elle inclina la tête, sembla
réfléchir une fraction de seconde, un bonheur confidentiel illuminant soudain
son visage. Elle ferma les yeux puis lécha l’onguent accumulé avant de
pouffer :
— Dieu que c’est exécrable au
goût. J’espère seulement ne pas avoir de crampes de ventre. Que
décidez-vous ? Risquez-vous la pyorrhée et éventuellement la gangrène, car
la blessure est sérieuse, ou permettez-vous que je vous soigne ? Quelle
suivante balourde je ferais… On me renverrait sur l’instant !
Rassurée, bien que déconcertée par
la bienveillance de l’autre, Jeanne ne résista plus. Le contact très frais avec
la potion la fit se hérisser. Pourtant, elle ne sentit pas la brûlure annoncée.
Madame de Neyrat acheva de lacer la robe carmin, chantonnant d’une voix douce.
Elle arrangea ensuite le touret et sortit le magnifique manteau de lynx d’une
deuxième malle.
Elle recula d’un pas, inclinant la
tête afin d’évaluer le résultat de ses efforts et annonça :
— Vous êtes tout bonnement
éblouissante ! Virevoltez, je vous prie, que je juge l’arrière.
Jeanne obéit. Elle trébucha et dut
se retenir au mur pour ne pas tomber. La tête lui tournait et les meubles de la
pièce tanguaient. Une effroyable nausée la cassa et elle vomit un liquide amer
et salé. Elle tendit les mains vers madame de Neyrat en hurlant :
— Maudite !
L’autre se dégagea d’un bond preste
et fonça vers le bureau en gloussant :
— Nous faisons la paire, en ce
cas.
Titubant, s’aidant des murs afin de
ne pas s’écrouler, Jeanne parvint à l’y suivre. Les vomissures trempaient
maintenant le devant de sa belle robe carmin. Comment se faisait-il ?
Quelle supercherie avait permis à Neyrat de toucher, d’avaler le poison sans en
souffrir alors que son cœur à elle s’affolait, lui remontait dans la
gorge ? Un antidote. La scélérate avait ingéré l’antidote avant. Et Jeanne
sentit la mort s’approcher, la frôler, caresser son front. Elle supplia en
s’effondrant à genoux, secouée de spasmes douloureux :
— Gardez l’argent. Donnez-moi
l’antidote, je vous offre les manuscrits.
Madame de Neyrat désigna le grand
bahut à registres d’un charmant geste du poignet et plaisanta :
— Ceux-là même qui sont cachés
dans ce meuble ? J’ai vérifié pendant que vous vous vêtiez et découvert un
gros paquet enveloppé d’une étoffe de lin. C’est trop de bonté à vous ma chère,
quoiqu’un peu tardive. D’autant que je suis au regret de vous apprendre qu’il
n’existe aucun contrepoison à ce venin d’arbre.
— Mais vous… vous…
— Je me suis offerte, grâce à
vous, une exquise frayeur. L’on m’avait indiqué que le contact ou l’ingestion
de cette sève mortelle était inoffensif. Cependant, je n’en étais pas certaine,
et je vous avouerai que mon cœur a battu plus vite durant quelques secondes de
délicieux émoi. Griserie à nulle autre pareille que le pari avec la mort.
Vertigineuse exaltation. Bref, que m’a-t-on raconté d’autre qui puisse vous
intéresser ? J’y suis : cet imparable poison est tiré d’un bel et
fort arbre que l’on trouve en Afrique ou en
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