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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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de sentiments.
    — À cette extrémité ?
avait-il demandé en blêmissant.
    — Mon Dieu, pardonnez-moi
d’être celle par qui l’affreuse vérité arrive.
    Après un silence, Isidore avait
tendu la main vers elle en soupirant :
    — Non, vous faites bien. La
vieillesse amollit. Voilà que je lui cherchais mille excuses, que je me
rongeais l’âme en songeant que j’avais été cruel. Savez-vous, ma chère, que la
seule chose qui me demeure est ce gentil garnement de Thibaut. Car je l’aime,
ne vous méprenez pas. C’est juste que… l’enfance est si loin de moi maintenant,
que j’en ai perdu les us.
    — En vérité, il est si charmant
que je viens à regretter le voile qui ne me permit pas d’avoir d’enfant.
    Peu de temps – et encore moins
d’efforts – avaient été nécessaires à Jeanne pour devenir « ma toute
belle », « ma mie », « mon rayon de miel », et pour se
fendre à son tour de quelques « mon grand fou d’Isidore », « mon
subtil amant », « mon superbe lion ». Étrangement, monsieur de
Fleury n’avait vu nul ridicule en ces petits noms stupides. La chair avec lui
était rare, si rapide et peu exigeante que la tourière avait à peine le
sentiment de pécher. En revanche, il en paraissait satisfait. Avec habileté,
elle avait semé dans la tête du vieil homme les charnières nécessaires à son
raisonnement. Elle était encore assez jeune pour plaire, s’occuper d’un jeune
garçon, de cet homme vieillissant. De surcroît, les années de couvent de la
sœur tourière semblaient apaiser Isidore de Fleury comme si elles lui
garantissaient, à lui aussi, un bout de paradis qu’il n’était pas certain de
mériter. Après tout, Jeanne avait longtemps frayé avec Dieu. Elle devenait une
sorte de passe-partout pour l’Éden. Elle en connaissait les habitudes et les
exigences, et serait d’excellent conseil pour l’aider à en gravir les degrés.
Une date de mariage fut donc fixée. Le notaire devait avant procéder à
l’établissement du contrat par lequel Jeanne conserverait l’usufruit des biens
de monsieur de Fleury à son trépas, à charge pour elle de s’occuper au mieux de
Thibaut et de lui transmettre à sa propre mort l’intégralité des possessions de
son grand-père.
    La résignation avait volé en éclats.
La résignation n’était qu’un vilain masque, une peau d’emprunt qui avait
recouvert sa vie durant d’interminables années. Jeanne allait vivre, comme elle
le méritait, enfin.
    Et il avait fallu que ce vieil
abruti décède quelques semaines avant le mariage. Le délicieux plan qu’elle
avait ressassé des nuits entières dans sa cellule de toile s’était écroulé.
Elle s’était imaginée, se volatilisant de l’abbaye afin de devenir la seconde
madame de Fleury, sans laisser aucune autre trace d’elle que cette robe de bure
blanche qu’elle abhorrait. L’infâme crétin, lui jouer ce vilain coup !
Qu’il pourrisse en enfer !
    Jeanne s’était retrouvée sans
argent, sans avenir, sans vie, et surtout sans plus aucune possibilité de
résignation. Elle n’avait jamais remis les pieds à Fleury et n’avait appris
qu’avec retard le décès de Thibaut à la suite d’une fièvre. Yolande n’en avait
pas été avisée puisqu’on la croyait morte. Quant à Jeanne, elle s’était bien
gardée de prévenir sa compagne de chaînes. Autant l’admettre, l’idée que la
petite sœur grainetière profite de l’héritage de son vieux scélérat de père,
héritage qui aurait dû lui revenir par mariage, ulcérait Jeanne. De surcroît,
elle était peu désireuse que la mesnie de Fleury informe Yolande de ses…
attributions véritables auprès d’Isidore. Elle avait donc continué de mentir à
celle qui se croyait son amie, lui ramenant de tournées extérieures de
consolantes nouvelles du petit Thibaut trépassé. Sans doute s’y était-il
également mêlé une sorte de satisfaction perverse. Le plaisir de gruger
gravement et de tenir l’autre en son pouvoir.
    Un bruit de lourde malle que l’on
refermait. Jeanne revint à maintenant, ici, s’efforçant de regagner son
sang-froid. Elle allait en avoir grand besoin. L’affrontement commençait. La
porte s’entrouvrit et Aude de Neyrat apparut, impériale, précédée par un
sillage de parfum musqué assez déroutant pour une abbesse.
    — Ma chère Jeanne… quel bonheur
de vous revoir si tôt. (Le lumineux sourire de madame de Neyrat mourut. Elle
lança :)

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