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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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Ah, ah… Je ne vous les vois toujours pas.
    — Vous en
étonneriez-vous ? Je ne puis le croire.
    — Comment cela ? minauda
Aude, avec une maladresse calculée.
    Le cœur de Jeanne d’Amblin
s’emballa. La partie était serrée, et madame de Neyrat ne devait surtout pas
percevoir son appréhension. Elle s’efforça d’adopter un ton calme, calquant
l’amusement qui ne semblait jamais quitter tout à fait son interlocutrice.
Pourtant, Jeanne était loin de le ressentir.
    — De grâce, réservez ces jeux à
d’autres. Ne sauriez-vous pas que deux brigands me guettaient afin de me les
arracher ?
    — Que voilà une grave
accusation, ma fille.
    — Que voilà une accusation fort
justifiée, ma mère.
    — Cela étant, avouez que le
plan eut été habile de ma part. Il m’épargnait de vous devoir rétribuer, car
vous êtes devenue bien gourmande, ma chère.
    — On se lasse rarement de la
gourmandise. Aussi a-t-elle une fâcheuse tendance à croître… au moindre
prétexte.
    Aude de Neyrat perçut le
sous-entendu sans toutefois en comprendre l’exacte signification. Elle demanda
d’un ton suave :
    — Que voulez-vous dire ?
    Jeanne d’Amblin inspira, redoutant
de buter sur une phrase et d’indiquer du même coup son épouvantable état de
nerfs à son adversaire.
    — Que la joie d’avoir échappé
de peu à une exécution sommaire ne devrait pas tarir ma voracité. Et aussi
qu’il ne faut jamais lésiner sur les deniers lorsqu’on loue les coutelas de
coupe-jarrets. J’aurais donné cher pour voir leurs vilaines trognes dépitées
lorsqu’ils arrachèrent le linge qui protégeait… un assemblage de planchettes.
    Le parfait visage de l’abbesse se
figea, sa bouche se crispa sur un pli mauvais. Le regard émeraude perdit de son
éclat. Pour la première fois depuis leur rencontre en l’étuve de la rue du
Bienfait, Jeanne savoura la griserie de la proche victoire. Un peu d’assurance
lui revint. Elle pouvait triompher du joli monstre.
    — Vous aurais-je blessée ?
Une telle pensée me désespère, ma bien-aimée mère. Toutefois, rassurez-vous.
Les manuscrits ne sont pas perdus, mais toujours en ma garde, déclara Jeanne
d’un ton qu’elle souhaitait ironique. Et si nous discutions plus avant de votre
contentement, de celui de « notre ami » italien ? À combien
l’évaluez-vous ?
    Aude de Neyrat passa la langue sur
ses lèvres et rétorqua d’une voix sifflante :
    — Le chiffre vous en avait été
donné. Deux cents livres*, une fort belle somme.
    Jeanne se délectait. L’autre avait
enfin perdu de sa superbe.
    — Insuffisante, très
insuffisante, d’autant qu’il s’agira de ma dernière mission pour vous servir.
    — Combien ?
    — Quelle sécheresse. J’aurais
tant apprécié davantage d’amitié de votre part.
    Madame de Neyrat baissa la tête.
Lorsqu’elle la releva, le changement était subtil et pourtant alarmant. Une
implacable dureté sculptait chacun de ses traits. En dépit du bonheur qu’elle
éprouvait à narguer son ennemie et commanditaire, Jeanne sentit distinctement
que le jeu n’avait que trop duré et qu’il lui fallait y mettre un terme.
    — Voyons… disons le double.
    — Fichtre !
    — Je crois savoir qu’ils les
valent pour vous. Cela étant, je puis chercher d’autres acquéreurs.
    — Ne me menacez pas, Jeanne. Je
déteste que l’on me menace.
    La tourière s’étonna de l’emploi de
son prénom et poursuivit :
    — Vous m’offrez l’une de vos
ravissantes robes et un manteau. Je me vêts dans votre chambre. Je récupère
ensuite les manuscrits, ainsi que quelques effets personnels, ajouta-t-elle en
songeant à son magot. Vous m’accompagnez alors en fardier jusqu’à Bellême. Nous
y procédons à l’échange et je disparais.
    Aude de Neyrat, en prédateur
vigilant et rompu à toutes les feintes, avait intercepté l’involontaire
mouvement des yeux de Jeanne vers le bahut. Elle félicita en son for intérieur
la tourière, puisqu’elle n’aurait jamais songé à cette cachette.
    — C’est que… je ne détiens pas
quatre cents livres, céans.
    — Allons, madame !
    — Soit.
    — Acceptez-vous ?
    — Ai-je le choix ?
    — J’en doute.
    — Alors j’accepte et en
maintenant bonne figure. Je vous en prie, ma bonne, choisissez vos atours dans
l’une de mes malles. D’ailleurs, l’une de mes plus belles parures patiente sur
ma couche. Une robe carmin qui devrait vous flatter le teint. Une

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