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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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cher était d’en avoir des nouvelles.
    Jeanne d’Amblin fouilla sa mémoire,
un peu interdite : où était passée l’ancienne Jeanne d’Amblin ? Elle
ne la retrouvait plus.
    S’était-elle rendue à Fleury, situé
non loin de Malassis, en profitant de l’une de ses tournées, par compassion
pour la tendre Yolande, ou avait-elle déjà un plan en tête ? La tourière
ne s’en souvenait plus. Quelle importance au fond ? Ce qui était mort en
elle ne revivrait pas. Trois ans auparavant, Jeanne avait donc abordé avec
circonspection Isidore de Fleury, le père de sa compagne de chaînes, ainsi
qu’elle se plaisait à la désigner. Le vieil homme autoritaire et implacable des
descriptions de la petite sœur grainetière déclinait déjà. Il sentait confusément
l’approche de la laide Faucheuse. Au prétexte d’alléger son humeur, Jeanne
s’était peu à peu incrustée, se rendant indispensable, multipliant les marques
d’affection. Ce vieux despote avait tout ce qu’elle cherchait : il était
riche, étonnement crédule lorsqu’on faisait mine d’abonder dans son sens, et
surtout, il avait déjà un pied dans la tombe. Jeanne avait également exercé son
talent d’affabilité avec Thibaut. Les murs épais et sinistres de ce vaste
manoir semblaient avoir éteint l’adorable petit garçon. Il était devenu une
silhouette silencieuse, se fondant aux autres ombres afin de ne pas mécontenter
son grand-père, afin de disparaître à sa vue. Lorsqu’elle repartait, il
s’accrochait à sa robe blanche, lui demandant avec gravité si les religieuses devenaient
toutes des anges. Elle avait éludé la question cent fois avant de se décider à
répondre :
    — J’espère bien que non, gentil
Thibaut. Car, voyez-vous, il n’est rien de plus ennuyeux que la vie des anges.
    — Quand revenez-vous,
madame ?
    — Aussi vite que je le pourrai,
mon doux.
    Elle l’avait bien aimé, ce petit
garçon qui n’espérait que quelques sourires, un jardin ensoleillé, un soupçon
d’attention afin de revivre. Toutes choses que son roide grand-père était
incapable de lui offrir.
    Les mois qui avaient suivi devaient
démontrer que l’inflexibilité humaine s’adresse surtout aux autres, rarement à
soi-même. Isidore de Fleury avait commencé d’évoquer sa mort, ses regrets
tardifs, le châtiment, la récompense. Pour la première fois depuis leur
rencontre qu’il croyait fortuite, il avait prononcé le nom de sa fille :
    — Peut-être ai-je été trop
intransigeant avec Yolande, que vous connaissez. Que me reste-t-il maintenant
que je suis un vieillard perclus de douleurs ? Un petit-fils, sans doute
fort aimable, mais dont j’avoue que les allées et venues m’agacent. Certes, je
fus trop intraitable. Me voici rendu en un âge et un état où une présence plus
jeune et féminine allégerait mon existence. Et s’il m’arrivait quelque chose,
que deviendrait Thibaut ? Sa mère reviendrait s’occuper du domaine.
Pourtant, je le redoute aussi. Yolande est une gentille oiselle, si peu faite
pour les tâches d’endurance et de sérieux. Voyez-vous, chère Jeanne, il est
hors de question que ce coquin dont elle s’était entichée, ce gueux qui la
troussa comme une vulgaire servante, touche un denier de mes biens !
    Une phrase avait jailli, Jeanne ne
savait d’où. Elle s’était entendu répondre, la mine défaite, les larmes aux
yeux :
    — Ainsi, comme je le redoutais,
vous n’êtes pas au courant.
    — Au courant de quoi ?
    — Yolande est décédée, il y a
eu un an à l’hiver, d’une fluxion de poitrine. Elle avait exigé que l’on ne
vous prévînt pas. Je me déteste de vous apporter cette funeste nouvelle.
    Il l’avait fixée comme si elle
parlait soudain une langue inconnue. Jeanne s’était faufilée par la brèche
qu’elle venait d’ouvrir :
    — Vous avez grand tort, bon
ami. Vous peignez de vous un portrait peu flatteur et injustifié. Yolande avait
gravement fauté. En père juste et soucieux du futur de sa seule enfante, vous
avez chassé le misérable qui lui avait ravi sa pureté. Si vous voulez ouïr le
fond de ma pensée – et Dieu qu’il m’est pénible de juger une sœur
défunte –, je m’étonne de sa dureté à votre égard maintenant que je vous
connais un peu.
    — Dureté ?
    — Elle n’avait pas de mots
assez impitoyables, parfois orduriers, pour vous dépeindre… au point que
j’avais fini par penser que vous étiez un monstre dénué

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