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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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Asie, l’ako [97] . Ses feuilles sont arrondies et son écorce est utilisée pour
confectionner des vêtements. La sève est le poison. Les indigènes en enduisent
la pointe de leurs flèches. Une seule peut alors tuer un buffle en quelques
longues et très pénibles minutes, une vingtaine, m’a-t-on relaté. Étrange et
fort précieuse propriété de ce venin : il est inoffensif par contact avec
la peau ou en ingestion. En revanche, il devient fatal lorsqu’il passe
directement dans le sang, à la faveur d’une plaie, par exemple. Ma toute bonne,
les convulsions devraient empirer sous peu, votre respiration devenir
difficile, votre cœur s’affoler… jusqu’à s’arrêter.
    Madame de Neyrat émit un petit bruit
de gorge désolé :
    — C’est que je déteste les
agonies, voyez-vous. La seule qui m’ait fort distraite était celle de mon
oncle… j’avais l’excuse de la grande jeunesse ! Au risque de passer à vos
yeux pour une pleutre, je crois que je vais vous abandonner quelque temps et
prétendre vaquer à mes occupations de mère abbesse. Je reviendrai lorsque vous…
n’y serez plus.
    — Je vous en prie, hoqueta
Jeanne… Anne… Annelette… faites-la… quérir, acheva-t-elle entre deux
essoufflements.
    — Oh, elle ne pourra rien pour
vous, sembla déplorer madame de Neyrat.
    — Mon âme… pour la suite.
    — Vous ne manquez pas
d’optimisme, ma chère. Croyez-vous véritablement qu’elle puisse être
lavée ? Toutefois… Si votre objet véritable était de me dénoncer, je doute
que vous appreniez quoi que ce soit à notre acariâtre apothicaire. Allons, le
succès rend généreux et je quitterai sous peu cette affligeante robe blanche.
Soyons clémentes ! Je la fais mander. Tâchez de tenir jusqu’à sa venue.
Avant toute chose, j’emporte avec moi le précieux paquet.
    Elle tira de leur cachette les trois
volumes enveloppés d’un lin fripé qu’elle palpa puis caressa en soupirant.
    Elle quitta la pièce sans un dernier
regard pour l’agonisante. Honorius serait satisfait : il récupérait les
ouvrages tant convoités et se débarrassait du même coup d’une exécutrice des
basses œuvres devenue gênante. Quant à elle, elle n’était pas mécontente :
elle soldait la première partie de la dette qui la liait au camerlingue. Le
reste se jouerait sous peu, lorsque la nobliaude de Souarcy et son petit serf
auraient rejoint un monde qu’Aude, en meurtrière magnanime, leur souhaitait
meilleur. Trois hommes de main, grassement rémunérés, attendaient le moment
opportun pour mettre un terme définitif à leurs tourments terrestres. Les gens
d’armes du grand bailli Monge de Brineux devaient pouvoir conclure à une
fâcheuse rencontre avec des malfaiteurs. Les ordres de madame de Neyrat avaient
été clairs et habilement semés de menaces en cas d’échec.
    Annelette se précipita dans le
bureau. Jeanne avait le visage en sueur, défiguré par la douleur. Elle
enfonçait ses deux poings sous son sternum, dans l’espoir de calmer les
convulsions qui la tétanisaient, vagissait comme un bébé, entre deux
vomissements ramenant dans sa bouche une salive teintée de sang qui lui
dégoulinait le long des joues, du cou.
    L’apothicaire se pencha vers la
mourante qui articula avec peine :
    — Aude… c’est elle…
    — Je ne vous comprends pas.
C’est elle quoi ? Elle qui a empoisonné Adélaïde, Hedwige, Yolande, notre
mère et les émissaires du pape ?
    — Non… balbutia Jeanne en
hochant la tête.
    — Non, en effet, puisque c’est
vous. Alors c’est elle qui vous a enherbée ?
    — Oui…
    — Ce qui prouve qu’elle n’est
pas toute mauvaise et peut, à l’occasion, se révéler de bon service. Vipère, je
te hais. Comment as-tu pu ? J’ignore de quel poison elle s’est servie et franchement…
cela m’indiffère.
    — Bénissez…
    — Te bénir ? Il ne
m’appartient plus de le faire.
    Annelette se redressa et se dirigea
vers la porte. Le dernier hurlement de Jeanne ne la fit pas sursauter. Elle
referma le lourd battant derrière elle.
    Le corps de la tourière fut
prestement enlevé des appartements de madame de Neyrat et étendu à la hâte dans
les écuries.
    Aude de Neyrat rejoignit peu après
sa chambre afin d’y terminer les préparatifs de son prochain départ, qu’elle
souhaitait aussi rapide que possible. Elle déposa avec délicatesse sur le lit
le volumineux paquet qu’elle avait tenu plaqué contre elle en attendant

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