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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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qu’on
la débarrassât de la présence peu ragoûtante du cadavre de Jeanne d’Amblin.
Elle s’assit à côté, dénoua les liens qui maintenaient la pièce de lin
protectrice et examina les titres : Collectiones de Guillaume de Saint-Amour [98] ,
chanoine oublié de tous ; L’Architrenius, longue lamentation allégorique due à la plume du poète latin Jean de
Hanville, composée vers 1184, qui avait connu un succès plus que
d’estime ; enfin, un épais volume signé Nicole de Saint-Nicolas et datant
sans doute du XII e siècle, agrémenté de dessins et expliquant toutes
les subtilités des jeux de trictrac et d’échecs. La fureur redressa madame de
Neyrat, qui éructa :
    — Gueuse ! Rôtis en
enfer ! Oser te jouer de moi de la sorte !
    Son implacable lucidité ne l’épargna
pas. Elle avait commis une impardonnable imprudence en ne vérifiant pas le
contenu du paquet avant d’en terminer avec la tourière. Pourtant, une certitude
s’imposa aussitôt à elle. Jeanne ignorait la substitution, sans quoi, plutôt
que de monnayer l’antidote inexistant contre de l’argent, elle aurait proposé
les ouvrages. Qui ? Annelette Beaupré, bien sûr ! Aude de Neyrat
fonça, certaine de trouver l’apothicaire dans son herbarium.
    Elle repoussa d’une main la porte
sans ralentir sa course et pila net à une demi-toise de la pointe d’un stylet.
    — Pas un geste ni un pas de
plus, madame. Ne m’approchez pas car je n’hésiterai pas une seconde à vous
renvoyer d’où vous sortez tout droit.
    — L’enfer ? Ne soyez pas
si théâtrale ! Nous sommes entre femmes d’intelligence, du moins est-ce
mon souhait le plus sincère.
    — Je ne connais certes pas tous
les poisons, dont celui que vous venez d’utiliser pour vous défaire de Jeanne d’Amblin.
En revanche, je connais toutes leurs voies d’administration.
    — Vous empoisonner ?
Commettre deux fois la même erreur à si bref intervalle ? Me prenez-vous
pour une nigaude ? Je veux les manuscrits. Votre prix sera le mien. Ne
tentez pas de noyer le poisson. Je sais qu’ils sont en votre possession.
    — Non.
    — Vous mentez, s’énerva madame
de Neyrat.
    — Non.
    — Non ? répéta-t-elle,
maintenant indécise.
    D’un ton presque affable, Annelette
expliqua :
    — Les manuscrits sont sortis
tout à l’heure de l’abbaye grâce à votre levée d’interdiction. Du fond du cœur,
grand merci, madame. Ils chevauchent à bride abattue vers leur légitime
propriétaire. Ma messagère a ensuite ordre de porter une courte missive à
messire Monge de Brineux, grand bailli du comte d’Authon. J’y relate votre
tumultueuse installation céans. Si mes estimations ne sont pas erronées,
messire de Brineux devrait nous rejoindre avec ses gens d’armes dans la nuit,
ou au petit matin. À vous de décider si vous souhaitez vous attarder davantage
afin de l’accueillir.
    Les lèvres pleines de madame de
Neyrat se serrèrent puis s’écartèrent en langoureux sourire :
    — J’avais raison : nous
sommes entre femmes d’intelligence. L’intelligence consiste également à
reconnaître ses défaites et à en tirer les conclusions qui s’imposent. Je crois
que je vais devoir me priver du plaisir de rencontrer monsieur de Brineux. À
vous revoir, ma chère.
    — J’en doute.
    — Qui sait ?
    Annelette Beaupré et Berthe de
Marchiennes argumentèrent longuement avant de tomber d’accord. Blanche de
Blinot avait été écartée de la décision, Annelette redoutant une crise de
larmes et de divagation de la part de la vieillarde. Jeanne d’Amblin fut donc
enterrée le soir même hors l’enceinte de l’abbaye, en terre non consacrée ainsi
qu’il était de coutume pour les dépouilles de sorciers et d’enherbeurs.
Quelques-unes des moniales, assommées par les révélations d’Annelette, tinrent
quand même à accompagner leur tourière vers sa dernière demeure. Peu d’entre
elles levèrent la tête pour suivre du regard le lourd fardier fermé qui
emmenait madame de Neyrat et ses malles.
     

Forêt de la Louvière, Perche,
décembre 1304
    Une sorte d’urgence avait poussé
Agnès. Une soudaine et inexplicable nervosité l’avait précipitée dans sa
chambre. Elle s’était habillée chaudement, attrapant sans même y réfléchir la
courte épée dont elle avait pendu le fourreau à sa ceinture. Elle avait hélé un
des valets de ferme afin qu’il selle Églantine au plus vite. Le jeune homme lui
avait lancé un

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