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Le sang de grâce

Le sang de grâce

Titel: Le sang de grâce Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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domaine.
    Annelette Beaupré fonça. Afin
d’égarer soupçons et curiosité, elle avait décidé de pénétrer dans son antre,
puis de ressortir avec discrétion une fois toutes les autres réunies en prière
dans l’abbatiale. Elle traversa au pas de charge le réfectoire et s’apprêtait à
sortir dans les jardins potagers lorsqu’un crissement provenant des cuisines
l’alerta. Sur le qui-vive, elle se rapprocha de la grande porte qui menait à
l’univers qu’avait tant aimé la pauvre Adélaïde Condeau. Elle ne vit d’abord
que deux bas et les plis d’une robe agités de saccades. Juchée en équilibre sur
un tabouret, une moniale lui tournait le dos et tentait d’atteindre le grand
pot de terre dans lequel Elisaba protégeait le miel.
    — Que faites-vous, ma
sœur ? tonna Annelette.
    Un cri, le tabouret bascula.
Annelette vola au secours du pot de miel et le rattrapa de justesse. L’autre
tomba cul par-dessus tête dans un bruit mou. Emma de Pathus, la maîtresse des
enfants, gisait au sol, en bien peu élégante posture, la robe relevée sur le
visage. Annelette l’aida à se remettre sur pieds, et la considéra en plissant
les paupières.
    — Que faisiez-vous ?
    — Je, je… je…
    — Certes, mais encore ?
    Retrouvant d’un coup son arrogance
et sa mine renfrognée, Emma de Pathus toisa l’apothicaire.
    — Ah ça ! Pour qui vous
prenez-vous ? Auriez-vous oublié votre qualité ? Une fille de la
roture, rien d’autre.
    — Que voilà donc un commentaire
déplacé en ces lieux, madame ! siffla Annelette. Cela étant, venant de
vous, il ne me surprend guère. Toute fille de la roture que je suis, je ne vole
pas le miel de mes sœurs pour m’empiffrer en contrebande, et pendant l’office
de l’après midi, pour couronner le tout ! Je ne gifle pas de pauvres
enfants au prétexte de passer mes nerfs sur eux…
    Emma de Pathus ouvrit la bouche pour
protester mais Annelette, déchaînée, hurla :
    — Taisez-vous,
goinfresse ! Vos joues sont aussi grasses et flasques que vos fesses que
je viens d’apercevoir, pour ma punition ! Enfin, toute roturière que je
suis, je n’entretiens nul douteux commerce avec un démon déguisé en
inquisiteur ! Quittez à l’instant votre mine d’étonnement, poursuivit
Annelette sans reprendre souffle. Je suis au fait ! Feu notre bien-aimée
mère vous a surprise en grande conversation avec ce Nicolas Florin que Dieu
Lui-même a châtié… Vous pouvez compter sur moi pour signaler ce méfait à notre
prochaine abbesse.
    Remontée et bien décidée à porter
l’estocade pour laver l’affront qui venait de la souffleter, Annelette Beaupré
y alla d’une dernière pesterie qui acheva son interlocutrice :
    — Ne vous méprenez pas… Je suis
bien convaincue qu’il n’y avait entre vous nul coupable attachement. Dans le
cas contraire, le seigneur inquisiteur aurait prouvé qu’en plus d’être un
monstre, il était homme de bien peu de goût et d’exigence !
    Le gros visage adipeux tremblota
comme un plat de pieds de porc en gelée et se vida de son sang.
    — Douteux commerce ?
bafouilla-t-elle. Auriez-vous perdu le sens ? Je ne l’ai abordé qu’une
fois afin de lui demander des nouvelles de mon frère, jadis inquisiteur à
Toulouse et que l’on venait de nommer à Carcassonne. De fait, ils s’étaient
croisés dans cette ville peu avant le départ à Alençon de messire Florin.
    En dépit de son envie de la croire
menteuse en complément du reste, Annelette fut certaine de sa sincérité.
N’empêche, elle n’en avait pas terminé.
    — Et le miel ? Vous teniez
benoîtement à vous assurer qu’il n’avait pas ranci, peut-être ?
    La réaction d’Emma de Pathus la
laissa pantoise. La maîtresse des enfants fondit en larmes, trépignant comme
une possédée en vagissant :
    — J’ai faim ! J’ai faim…
Je passe ma vie à avoir faim. J’en ai l’estomac qui se tord et les jambes qui
flageolent. Je n’en peux plus de ces jeûnes, de ces maigres, de ces pénitences
diverses et variées qui deviennent encore plus intenables à l’hiver. Je meurs
de faim du matin au soir ! Cela m’aigrit le tempérament, me porte sur
l’humeur et j’en arrive à des emportements vis-à-vis des enfants qui font que
je me déteste en permanence. Je voulais juste aimer Dieu, pas dépérir
d’inanition chaque jour qu’Il fait ! C’est un calvaire.
Entendez-vous : ma vie est un calvaire ! Au lieu de prier comme

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