Le sang des Borgia
âmes ? Ceux de France et d’Espagne n’hésitaient pas à garder par-devers eux les revenus ecclésiastiques, quand l’action du pape leur déplaisait. Quelle audace ! Ne savaient-ils donc pas que les peuples ne leur obéissaient que parce qu’ils voyaient en eux les représentants de Dieu sur terre ? Il faudrait, en tout cas, veiller à maintenir l’équilibre. Pour faire respecter la volonté de Dieu, l’Église et le pape devraient disposer du pouvoir temporel – en bref, d’une armée. Alexandre dressa donc ses plans.
À peine était-il devenu pape qu’il nomma César cardinal. Enfant, celui-ci s’était déjà vu accorder divers bénéfices ecclésiastiques, et le titre d’évêque, ce qui lui assurait un revenu annuel de mille ducats. Il n’avait encore que dix-sept ans, avec les passions et les vices de la jeunesse ; pourtant c’était déjà, d’esprit et de corps, un homme fait. Il avait étudié à Pérouse et à Pise, il était aussi brillant que cultivé ; mais l’histoire et la stratégie militaire demeuraient ses grandes passions. Il avait pris part à des batailles, certes de médiocre importance, en sachant s’y distinguer ; il n’ignorait plus rien de l’art de la guerre. Alexandre avait de la chance : Dieu avait pourvu son fils d’un esprit vif, d’une résolution sans faille, et d’une férocité bien nécessaire dans un monde aussi pervers.
César étudiait le droit canon à Pise quand la nouvelle de son accession au cardinalat lui parvint. Il lui fallait s’y attendre : après tout, il était le fils du pape. Mais il n’en fut guère satisfait. Certes, cela lui assurerait la richesse, mais il était avant tout un soldat, qui voulait mener les troupes à la bataille, s’emparer des châteaux et des forteresses. Il voulait également avoir des enfants qui, contrairement à lui, ne seraient pas des bâtards.
Gio Médicis et Tila Baglioni, ses meilleurs amis, le félicitèrent et entreprirent de préparer une petite fête. Fils de Laurent le Magnifique, Gio était lui-même devenu cardinal dès l’âge de treize ans. Baglioni, quant à lui, n’avait pas cette chance, mais c’était l’un des héritiers du duché de Pérouse – ville où tous trois n’étaient d’ailleurs que de simples étudiants, bien qu’ils aient eu serviteurs et gardes du corps chargés de les protéger.
César était, bien entendu, le plus brillant des trois : grand, vigoureux, sachant manier l’épée, il faisait aussi l’orgueil de ses maîtres à l’université. Gio était bon étudiant, mais peu imposant physiquement ; il avait beaucoup d’esprit, qu’il maniait avec prudence avec ses deux amis : César lui inspirait une sorte de crainte respectueuse, et, volontiers brutal, Baglioni était capable d’entrer en fureur quand il s’estimait offensé.
Tous trois célébrèrent donc l’événement un beau soir, dans une villa appartenant aux Médicis au sortir de Pise. Comme il s’agissait de fêter le chapeau rouge de César, on resterait discret : il n’y avait là que six courtisanes. Les trois amis se contentèrent de mouton, de vin, de quelques friandises, tout en bavardant gaiement.
Ils allèrent même se coucher tôt, chacun devant rentrer chez lui. Mais auparavant, ils se rendraient à Pérouse avec Tila Baglioni pour une grande fête : son cousin Torino se mariait, et la tante du jeune homme, la duchesse Atalanta, lui avait fermement enjoint d’être présent.
Ils se mirent donc en route à l’aube. César montait son plus beau cheval, cadeau d’Alfonso, duc de Ferrare.
Médiocre cavalier, Gio s’était contenté d’une mule blanche. Tila, fidèle à lui-même, montait un cheval de bataille dont on avait taillé les oreilles pour lui donner une apparence farouche. Aucun des trois hommes n’était en armure, bien qu’ils soient armés de dagues et d’épées, et accompagnés d’une trentaine d’hommes au service de César et portant ses couleurs, écarlate et jaune.
Pérouse et les Baglioni se montraient farouchement indépendants, bien que la papauté eût depuis longtemps fait valoir ses droits sur la ville : César n’aurait jamais osé s’y rendre sans la protection de Tila. Mais la perspective de prendre part à la fête avant de rentrer à Rome pour assumer ses devoirs le séduisait.
Pérouse était une cité superbe, très impressionnante : sa forteresse, dressée sur une énorme colline, paraissait imprenable.
Entrant dans la ville, les trois
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