Le sang des Borgia
permettez-moi de me présenter ; je suis le chef de la police dans ce quartier de la ville. Avant votre départ, je voudrais vous présenter mes excuses pour l’incident de cette nuit. Venise est pleine de voleurs et de bandits qui dépouilleront tout étranger qu’ils rencontreront la nuit.
— Vous devriez envoyer vos hommes là où ils ont des chances de les capturer, répondit ironiquement César.
— Vous me feriez une grande faveur si, retardant votre départ, vous consentiez à m’accompagner jusqu’à l’endroit où on vous a attaqué ; votre escorte pourra vous attendre ici. Nous pourrions entrer dans les maisons voisines, ou peut-être vous seriez en mesure d’identifier l’un de vos assaillants.
César ne sut trop que répondre. Il voulait partir, mais aussi savoir qui avait voulu s’en prendre à lui. Cependant, enquêter prendrait des heures et il avait bien des choses à faire. Pour le moment, le plus important était de rentrer à Rome.
— Capitaine, dit-il, en temps normal je serais ravi de vous aider, mais mon carrosse m’attend. J’espère arriver à Ferrare avant la nuit, car les routes sont aussi peu sûres que vos rues la nuit. Je vous prie donc de m’excuser.
L’autre sourit et s’inclina :
— Comptez-vous revenir bientôt à Venise, Votre Excellence ?
— En effet.
— Alors, peut-être pourrez-vous nous aider à ce moment-là. Le quartier général de la police est sur le Rialto. Mon nom est Bernardino Nerozzi, mais tout le monde m’appelle Nero.
Pendant le voyage de retour, César se demanda si quelqu’un n’aurait pas pu payer le lieutenant de police pour l’assassiner. C’était possible, mais qui ? Il renonça : si on l’avait tué, jamais on n’aurait trouvé les coupables, tant il y aurait eu de suspects.
Ce qui ne l’empêcha pas de se poser des questions. Un des parents d’Alfonso, cherchant à venger sa mort ? Giovanni Sforza, humilié d’avoir été publiquement déclaré impuissant ? La famille ou la belle-famille de Caterina Sforza ? Giuliano Della Rovere, qui détestait tous les Borgia ? L’un de ceux qui gouvernaient Faenza, Urbino ou l’une des villes dont César comptait s’emparer ? L’un de ceux qui en voulaient à son père, ce qui faisait des centaines de personnes ?
Quand son carrosse arriva à Rome, César était en tout cas certain d’une chose : il lui faudrait faire très attention, car quelqu’un était bien décidé à le supprimer.
Pour Lucrèce, l’éveil au plaisir avec César avait été comme une entrée au paradis ; la mort d’Alfonso changeait tout. Elle fut désormais contrainte de voir sa vie, sa famille, telles qu’elles étaient vraiment. Elle se sentait dorénavant abandonnée par son père le pape, comme de Dieu Lui-même.
La perte de son innocence fut dévastatrice. Jusque-là, elle avait vécu dans un monde magique : c’était terminé. Elle en souffrait profondément et cherchait à se souvenir de la manière dont tout avait commencé, alors même que cela semblait avoir toujours été…
Quand elle était toute petite, son père, la prenant sur ses genoux, lui avait raconté l’histoire passionnante des dieux de l’Olympe et des Titans. N’était-il pas Zeus, le plus grand de tous ? Car sa voix était comme le tonnerre, ses larmes comme la pluie, son sourire comme le soleil. Et n’était-elle pas Athéna, la déesse sortie de son front ? Ou Vénus en personne, la déesse de l’amour?
Puis elle avait été Ève, tentée par le serpent, aussi bien que la chaste Madone qui avait donné naissance au Sauveur.
Dans les bras de son père, elle se sentait protégée de tout mal ; aussi n’avait-elle jamais redouté la mort, étant certaine d’être protégée par Dieu.
Maintenant qu’elle était veuve, le lourd voile de l’illusion lui avait été ôté des yeux.
Quand elle s’était penchée pour baiser les lèvres glacées de son mari mort, elle avait ressenti un vide horrible et compris que la vie était souffrance, que la mort viendrait un jour ou l’autre. Pour son père, pour César, pour elle. Jusqu’alors, elle les avait tous crus immortels. Aussi pleurait-elle pour eux.
Certaines nuits, elle ne pouvait dormir ; elle passait ses journées à marcher de long en large, sans pouvoir trouver le repos. La peur et le doute l’assaillaient. Elle finit même par perdre ce qui lui restait de foi, à mettre en question tout ce à quoi elle avait cru, sans pouvoir se raccrocher à
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