Le sang des Borgia
hommes.
— Je n’ai toujours pas reçu de réponse, mais une galère venue de Valence doit arriver demain vers midi. Avec un peu de chance, nous serons fixés.
— Pas de réponse ? Douteriez-vous que vos souverains me viennent en aide ?
— La question est très compliquée, César, vous le savez parfaitement. Nos souverains doivent prendre en compte de nombreux facteurs. Le pape, votre ennemi juré, est un homme difficile et rancunier.
— Je ne l’ignore nullement ! Mais Ferdinand et Isabelle sont de très vieux amis ; et mon père a intercédé pour que leur mariage se fasse, il a été le parrain de leur premier enfant. Vous savez par ailleurs que je les ai toujours soutenus…
Cordoba lui posa la main sur l’épaule.
— Du calme, du calme ! Je le sais parfaitement, comme d’ailleurs Leurs Majestés, qui vous considèrent comme un ami fidèle. Demain nous devrions avoir leur réponse, et si Dieu le veut ils m’enjoindront de soutenir vos efforts.
César se sentit quelque peu réconforté :
— J’en suis certain, Gonsalvo, et alors il nous faudra agir vite.
— Absolument ! Et surtout sans attirer l’attention tant que nous ne serons pas prêts ! Il nous faut un lieu de rencontre plus discret. Connaissez-vous le vieux phare sur la plage située au nord du camp ?
— Non, mais je le trouverai.
— Je vous y rejoindrai demain au coucher du soleil. Nous entreprendrons alors d’élaborer notre stratégie.
Le lendemain soir, comme le soleil disparaissait derrière l’horizon, César arriva à la plage, bordée d’eaux aussi pâles qu’un suaire, et marcha jusqu’au vieux phare, dont il vit sortir Cordoba.
— Gonsalvo, quelles sont les nouvelles ? s’écria-t-il.
L’autre mit un doigt sur ses lèvres et dit à voix basse :
— Pas de bruit ! Entrez, César. Il nous faut être prudents.
Tous deux pénétrèrent dans le bâtiment. C’est alors que quatre hommes se jetèrent sur César, le désarmèrent et le ligotèrent, avant de lui ôter son masque.
— Gonsalvo, quelle traîtrise est-ce là ?
Cordoba alluma une bougie et César se vit entouré d’une douzaine de fantassins espagnols lourdement armés.
— Je me contente d’obéir aux ordres de mon roi et de ma reine, répondit le vieux soldat. Ils savent que vous êtes un vieil ami, mais se souviennent aussi de votre alliance avec la France, et jugent que le pouvoir des Borgia n’est plus. Le pape Jules II est désormais l’homme fort de la péninsule, et il est votre ennemi.
— Dios mio ! s’exclama César. Et le sang espagnol qui coule dans mes veines ?
— Ils ne l’oublient pas et vous considèrent comme l’un de leurs sujets. C’est bien pourquoi j’ai reçu l’ordre de vous envoyer en Espagne – dans une prison de Valence. J’en suis navré, mon ami, mais vous savez que Leurs Majestés sont extrêmement dévotes ; elles sont convaincues que Dieu et le Saint-Père en seront ravis.
Cordoba fit une pause, puis reprit :
— Vous savez aussi, sans doute, que la veuve de votre frère Juan, Maria Enriquez, vous a officiellement accusé de son meurtre. Et elle est la cousine du roi…
César se sentait victime d’une telle trahison qu’il ne trouva rien à répondre.
Cordoba donna des ordres ; son prisonnier eut beau se débattre, il fut emmené et jeté sans cérémonie sur une mule, puis transporté ainsi jusqu’au camp espagnol.
Le lendemain à l’aube, toujours ligoté, César fut bâillonné, enveloppé dans un linceul et déposé dans un cercueil qu’on referma avant de le conduire en chariot jusqu’au port, où il fut embarqué à bord d’un galion à destination de Valence.
César pouvait à peine respirer, et il n’y avait pas assez de place pour pouvoir remuer. Il s’efforça, de toute sa volonté, de résister à la panique qui l’envahissait ; s’il y cédait, il deviendrait fou.
Cordoba avait recouru à cette méthode pour que l’arrestation de César reste inconnue de ses partisans à Naples. Il avait certes assez d’hommes pour repousser toute tentative de libération par la force mais, comme il le dit à l’un de ses lieutenants :
— Pourquoi prendre des risques ? De cette façon, les espions qui pullulent sur les quais n’auront vu que le cercueil d’un pauvre Espagnol qu’on ramenait chez lui.
Une fois en haute mer, le capitaine du navire donna l’ordre de libérer César de sa prison de bois. Toujours ligoté, il fut jeté dans une pièce servant de soute
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