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Le sang des Dalton

Le sang des Dalton

Titel: Le sang des Dalton Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
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lui, de même que l’épouse de mon frère Littleton, aussi s’en fut-il avec son sac de couchage sous le bras et emménagea-t-il au Grand Central Hôtel de Fresno où le mobilier n’était pas aussi fragile et où il pouvait s’envoyer des putes à trois dollars dans sa chambre et boire jusqu’à ce qu’il donne du front sur la table.
    En ce temps-là, il avait adopté la profession de joueur professionnel. Il abordait au bar n’importe quel inconnu affublé d’un pantalon rayé ou d’une veste à carreaux, se montrait aimable et souriait de toutes ses dents brunâtres pendant une heure environ. Il entraînait ensuite le quidam jusqu’à une table de jeu, où il se mettait à tricher impudemment, comme s’il jouait à un niveau intellectuel supérieur. Il fusillait du regard tous ceux qui remettaient en cause son interprétation des règles jusqu’à ce qu’ils se lèvent de leur chaise et s’en aillent. Un jour, il estourbit un type avec un crachoir, puis le traîna dehors, où il lui écrasa la figure contre le bord du trottoir. L’homme roula sur lui-même, en sang, mais ses dents restèrent incrustées dans les planches. On aurait dit un bracelet blanc perdu là par quelqu’un. Patrick J. Conway, le barman, ami d’un temps de mon frère, s’arrangea pour faire circuler cette effroyable anecdote et les gains de Grattan s’accrurent sensiblement, bien qu’il en reversât dix pour cent à son acolyte.
    Grat finit cependant par remarquer, carré dans un fauteuil à oreilles, un résident de l’hôtel qui fumait tous les soirs jusqu’à la bague un long cigare en observant mon frère à l’œuvre au stud à cinq cartes. Il s’agissait d’un homme de grand gabarit, avec une moustache noire, dont le visage était défiguré par des ulcères bruns suintants qui rongeaient le rose de ses joues et qu’il tamponnait avec un mouchoir. Il ne devait pas vivre beaucoup plus vieux que Grat.
    Un soir, l’inconnu acheta le journal local de Fresno et en lut les douze pages d’un bout à l’autre ; après quoi il replia le quotidien, le laissa tomber à ses pieds et alla s’asseoir à la table de mon frère, qui battait des cartes, seul.
    « À quel jeu jouez-vous, Mr Dalton ?
    — Je les connais tous. Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?»
    Son interlocuteur sourit et se pencha en avant, les mains sous la table. Grat reçut un coup avec le canon d’un revolver dans l’entrejambe. Il réprima une plainte et tenta d’attraper l’arme, mais le chien cliqueta.
    « Une femme m’a un jour demandé quel effet ça faisait, un gnon dans les roustons, médita l’agresseur de mon frère. Je lui ai répondu que c’était un peu comme se faire arracher un œil à la petite cuillère. Cela vous semble plutôt exact ?»
    Grat s’écarta de quelques centimètres de la table.
    « Mon nom est William Smith, poursuivit l’homme. Je suis le chef des enquêteurs spéciaux de la compagnie de chemins de fer Southern Pacific. Je n’ai pas une mine plaisante et ma personnalité est encore plus déplaisante. Voilà pour les mises en garde. Vous êtes l’un des frères Dalton. Les circulaires des chemins de fer indiquent que vous vous êtes bien amusés à l’est, dans les Territoires, à voler des chevaux, etc. On raconte que vous êtes des cousins de Cole Younger et que vous avez été représentants de la loi. Je vous avouerais qu’avec pareil pedigree, je ne vous fais pas confiance pour deux sous.
    — Vous pourriez éloigner ce pistolet ? le pria Grat. Ça a tendance à me distraire. »
    Smith se rassit au fond de sa chaise et reprit : « La Southern Pacific de Mr Leland Stanford et la Wells Fargo Express Company se sont fait dévaliser douze mille dollars par des bandits à Pixley en 1889 et vingt mille de plus cette année. Ces deux attaques sont pour moi des flétrissures plus infâmes encore que la bouillie qui me sert de gueule. Ce sont des hontes personnelles telles que je n’en tolérerai plus d’autre. Que ce soit bien compris : vous vous approchez d’un de mes trains, je vous troue la cervelle. »
    Grat eut un sourire et se pencha à son tour en avant, les joues calées sur ses poings.
    « Vous impressionnez peut-être les trimardeurs, les bagagistes et les gosses qui jettent des mottes de terre sur les wagons en les menaçant de leur couper leur petit oiseau, mais j’ai déjà arraché le lobe d’oreille d’un type avec les dents avant de l’avaler, donc vous m’excuserez si

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