Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le sang des Dalton

Le sang des Dalton

Titel: Le sang des Dalton Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ron Hansen
Vom Netzwerk:
obscènes, ni de blasphèmes, a rappelé mon frère. Souvenez-vous comment on vous a appris à vous comporter avec les dames. »
    Enfin, Miss Moore a fait son apparition, accueillie par sept bonshommes radieux, en chemise blanche et cravate, le chapeau à la main et la tignasse disciplinée avec de l’essence de rose.
    Bob l’a soulevée de terre et l’a fait tournoyer, puis ils se sont embrassés pendant deux ou trois minutes et nous les avons sifflés et chahutés. Je suis rentré à l’intérieur pour alimenter le fourneau et j’ai entendu Bob refaire les présentations au cas où Eugenia aurait oublié certains noms. Quelques instants plus tard, elle est venue me trouver et m’a gratifié d’une accolade et d’un baiser fraternel. Je crois qu’elle m’aurait volontiers ébouriffé les cheveux, mais j’étais trop grand pour ça.
    J’ai fait frire des steaks de chevreuil et Doolin a cuisiné le reste du repas avec un caleçon noué sur la tête telle la toque d’un chef. Nous nous sommes ensuite installés dehors dans la fraîcheur de la brise et Miss Moore nous a parlé de Leliaetta et de la ferme qu’elle venait de louer à Woodward pour l’hiver. Bob a distribué des fiches indiquant le rôle de chacun et Powers a sorti son violon et son archet. Bob s’est mis à taper dans ses mains et à annoncer les figures d’un quadrille intitulé « Turkey in the Straw », puis de quelques branles, pendant que Broadwell et Pierce dansaient ensemble, en se croisant avec Newcomb et Eugenia.
    Pour finir, Bob et sa dame se sont retirés pour la nuit dans l’abri, où deux des lits avaient été accolés l’un contre l’autre, tandis que nous six dormions sur nos sacs de couchage sous la lune laiteuse. C’était presque l’automne, mais nous étions environnés de bruits estivaux : grenouilles dans la rivière, grillons dans l’herbe, cigales stridulantes s’extirpant de leurs mues pareilles à des cloques marron sur les arbres. Des oiseaux nocturnes enchaînaient piqués et rase-mottes.
    « Bob est un satané veinard, quand même », a chuchoté Newcomb.
    Powers s’est détourné.
    « C’est vraiment la belle vie ! » s’est extasié Pierce.
    J’ai contemplé les lucioles qui viraient au vert doré çà et là dans la nuit. J’ai repensé à ce que Julia m’avait dit, comme quoi elle pleurait dans son oreiller, et j’ai eu envie d’être riche au plus vite.
     
     
    Dans la soirée du 15 septembre 1891, sept hommes en imperméables noirs patientèrent donc pendant une heure avec leurs chevaux sous des peupliers face à la gare de Leliaetta. Trois d’entre eux fumaient ; assis sur une souche, Broadwell nettoyait les verres de ses lunettes anti-poussière avec le foulard bleu qu’il s’apprêtait à porter. Juché sur le troussequin de ma selle, les chevilles croisées sur le pommeau, je répartissais du tabac dans une feuille à rouler. Nos montures avaient brouté le peu de verdure qu’elles avaient trouvé et secouaient leurs rênes, plantées là, avec des regards abrutis, à se déboîter la mâchoire et à agiter la queue de droite à gauche. Soudain, Powers s’est penché en avant avec sa pipe calebasse et il a scruté la voie de chemin de fer en plissant les yeux ; Bob et lui ont émis un claquement de la langue et dirigé leurs chevaux vers la voie en contrebas, où un couple de Noirs muni d’un seau marchait sur le ballast.
    Ils avaient tous deux un châle sur la tête et la femme avait l’œil droit blanchâtre à cause de la cataracte. L’homme, âgé, se tenait une cinquantaine de centimètres en retrait derrière sa compagne et touchait le manteau de celle-ci de la main.
    Bob s’est retranché derrière le col de son manteau ; Powers a relevé son chapeau en guise de salut à l’adresse de la femme.
    « Vous cherchez quelque chose ? » s’est-il renseigné.
    Son interlocutrice a cramponné son seau à deux mains. L’homme a lentement levé la tête. Il avait des lunettes, mais l’un des verres manquait.
    « Ce vieil homme et moi, on essaye de dénicher un peu de charbon égaré pour réchauffer not’ cabane, a expliqué la femme. On est par là-bas, au bord des rails et l’aquilon fait un raffut affreux. Ça pince salement la nuit.
    — Vous n’auriez pas de la besogne pour un gars comme moi, messieurs ? a ajouté l’homme.
    — Rien dans vos cordes, a répliqué Powers. Mais remontez donc la voie jusqu’au portique à signaux et jetez un coup

Weitere Kostenlose Bücher