Le secret de la femme en bleu
son âme !), son homme de confiance. Et puis Nithard est un enfant brillant. En outre, il sait distraire le prince. Restent Drogon et Hugues qui, eux, ne sont pas petits-fils mais fils de Charles empereur. Bâtards pour bâtards, ne sont-ils pas les mieux placés ?
— J’ai peu de lumières sur ce sujet.
Erwin jeta à la jeune femme un regard aigu.
— Mais pourquoi, Lithaire, évoquer tout cela ? dit-il. Telle que je te connais, je n’imagine pas que tu sois venue simplement pour faire état de rumeurs.
— C’est qu’elles me touchent directement, mon père ! D’abord Rotrude, très inquiète donc, a tout mis en œuvre pour obtenir des renseignements sur cet acte de succession ; elle s’est tournée vers moi, pensant que mon époux me tenait au courant de ce qui se passait à la chancellerie. Je lui ai dit et redit que Jean était aussi discret avec moi qu’avec quiconque, ce qui est vrai.
— Elle ne l’a pas cru.
— En effet ! Mais le résultat fut inattendu. Allait-elle m’en vouloir ? Je ne sais si ce fut le cas en son for intérieur ; cependant elle en a conclu que j’étais moi-même d’une discrétion à toute épreuve.
— Et tu l’es en effet…
Lithaire fit une légère révérence.
— Dès lors, souligna-t-elle, Rotrude me fit confidences sur confidences : elle ne me cacha pas ses inquiétudes qui s’aggravaient au fil des jours et tournaient à la haine envers Régina et ses enfants. Récemment, elle m’apprit, très intriguée, que celle-ci avait quitté Aix avec eux, pour gagner la résidence de Thionville sous bonne escorte. L’empereur lui-même le lui aurait ordonné. Peu après, au comble de l’excitation, elle vint m’annoncer qu’on avait tenté d’assassiner Régina et ses fils. Elle voulut paraître affligée… Mais son regard !… Le lendemain, comme dépitée, elle m’indiqua que « la concubine et ses bâtards » n’avaient pas péri mais que, néanmoins, « le sang avait coulé…» sans autres détails. Ces événements, selon elle, avaient plongé son père dans une vive colère. Elle en avait subi quelques effets. J’en arrive donc…
La jeune femme sembla chercher ses mots.
— … à ce qui t’a conduite ici, peut-être, suggéra l’abbé saxon.
— En effet, seigneur. Je me doutais bien que la fille de Charlemagne, tout le contraire d’une tête folle, ne se confiait pas à moi sans motifs. Elle y vint. Hier même, elle m’a demandé si je ne pourrais pas me rendre sur place « où il y avait fort à faire ». Elle m’a dit, entre autres flatteries, que j’étais « observatrice » et que je saurais y apercevoir ce qui valait la peine de l’être, que j’étais discrète et n’en ferais part qu’à elle-même.
— A-t-elle précisé « ce qui valait la peine de l’être » ?
— Non, seigneur. Je lui ai répondu que je ne souhaitais m’éloigner ni de Jean ni de notre enfant. Elle m’a alors assuré que mon séjour là-bas serait de courte durée, que je pourrais soit y emmener mon fils, soit le confier, ici, à une excellente nourrice, que je serais reçue dans les meilleures conditions. Enfin, elle m’a fait promettre qu’en dehors de mon époux, je ne parlerais de tout cela à personne.
— Et qu’as-tu répondu ?
— … qu’elle pouvait être assurée de ma discrétion…
— … Ce qui te permet de t’en ouvrir à moi sans trahir ta parole.
— En effet. Je lui ai dit qu’avant de lui donner une réponse, je désirais peser à quoi je m’engageais. Peut-être en a-t-elle éprouvé du dépit, mais elle a pris le parti de… m’en féliciter. Voilà, seigneur !
Lithaire pencha la tête.
— En vérité, je ne sais que faire, avoua-t-elle en se redressant. Cela va, sans doute, beaucoup plus loin que ce que Rotrude a bien voulu m’en dire et cela ne me plaît guère. Si je m’écoutais, je refuserais, quelles qu’en soient les conséquences, car la fille de l’empereur, sûrement, m’en tiendrait rigueur. Mais, d’un autre côté… Sur ce qui s’est passé courent tant de rumeurs… On parle de forfaits, de crimes… L’affaire serait très grave, d’où la colère de Charlemagne. Celui-ci, donc, aurait envoyé en mission son cousin, le comte Childebrand, pour y mener secrètement une enquête. J’ai d’ailleurs pensé que tu en faisais partie puisque le prince vous a si souvent associés. C’est la raison pour laquelle je suis ici.
— Comment cela ?
— Peut-être ma présence là-bas, dans les
Weitere Kostenlose Bücher