Le secret de la femme en bleu
mois un frère ou une sœur, bien que je n’en sois pas encore certaine.
— Je l’espère pour Jean et pour toi, et je constate que, décidément, le Très-Haut vous comble… d’autant que ton époux n’est pas le seul, je crois, à bénéficier des faveurs de la cour. Il me semble t’y avoir aperçue récemment, vêtue comme une dame d’atour… Me serais-je trompé ?
— Non, seigneur ! Voilà sept mois, je suis entrée au service d’une des filles de notre souverain.
— Rotrude, donc.
— Oui, Rotrude… dans des circonstances et pour des raisons…
Lithaire s’interrompit en rougissant.
— Je crois savoir ce qui t’a signalée à son attention, enchaîna le Saxon avec un léger sourire. Peu nombreuses sont celles, au palais, qui ont voulu et ont pu résister comme tu l’as fait…
— Oh ! mon père, ce fut plus fort que moi… Certes, l’empereur est mon souverain… Mais qu’au détour d’un couloir, il ait voulu… Lui ?… Comme cela ?… J’ai été tellement surprise…
— … que tu t’es retrouvée au temps, pas si lointain, où tu faisais avec ton père et ton frère des exercices de force sur la grand-place de Lyon. On dit que, vigoureuse et souple comme un jeune fauve, tu as su te dégager avec une agilité et une grâce qui ont laissé ton… agresseur insatisfait mais… admiratif.
— Je vois, hélas, que cette historiette a fait le tour de la cour.
— Oh ! ne t’en plains pas ! Le seul sentiment que ton attitude a pu inspirer est un respect certain. Quant au prince, il ne peut t’en vouloir pour n’avoir pas cédé à un assaut de cette sorte. En ce qui concerne Rotrude, je gage que ta vertu a été pour elle la meilleure des recommandations.
— Il se peut, mon père… Je la sers, donc, et elle m’accorde quelque confiance ; ainsi, j’ai pu apprendre combien les premiers temps de son union avec le comte Rorgon avaient été difficiles.
— Oui, le souverain s’y était opposé. Le comte est un homme fier ; il appartient à une famille puissante et il ne se plaît guère à la cour.
— Et Rotrude a résidé sur ses terres, dans le Maine, plus souvent que l’empereur ne l’aurait souhaité. Tu sais mieux que moi, seigneur, combien Charles aime ceux qui l’entourent, et déteste qu’on s’éloigne de lui. Alors, quant à ses filles…
Lithaire s’interrompit en observant l’air pensif du Saxon.
— Que les femmes de la cour, dit-il, mènent leurs vies à leur guise et parfois de façon… mais passons… peu lui chaut. Cependant, qu’on se dérobe, aussitôt le voici chagrin, irrité.
— Rotrude, à ce qu’elle m’a dit, en a su quelque chose. Quand il a constaté qu’elle demeurait fidèle à Rorgon, que rien, ni les prévenances, ni les présents… ni les remontrances ne pouvaient la détacher de lui, alors…
— Oui, compléta Erwin, leurs querelles n’ont échappé à personne.
— Elle avait placé de grands espoirs en son fils Louis, reprit Lithaire. Longtemps l’empereur avait refusé de le voir. Elle a fini par obtenir qu’il lui soit présenté. Louis est éveillé, enjoué. Mais il est de petite taille et fluet. Charlemagne aime les enfants vigoureux qui seront aptes à porter la broigne et à manier l’épée, des enfants comme Drogon que lui a donné cette Régina. Certes, il porte attention à toute sa descendance, mais avec des préférences. J’ai cru comprendre qu’elles n’allaient pas à Louis ; sa mère s’en est bien rendu compte.
— Et elle s’en est alarmée ?
— Très vivement. D’autant qu’elle a eu vent, comme toute la cour, de cet acte de succession que ferait préparer l’empereur. Charles le Jeune, Louis d’Aquitaine et Pépin d’Italie sont assurés de la faveur de leur père. Il la leur a témoignée cent fois. Mais les autres…
La jeune femme hocha la tête.
— Les autres, d’abord, poursuivit-elle, ce sont beaucoup de femmes et de filles et peu de mâles. Combien de fois n’ai-je pas entendu Rotrude supputer les chances de celui-ci ou de celui-là… Son fils Louis…
Elle fit une moue exprimant son scepticisme.
— Alors ? Nithard, né de l’union de sa sœur Berthe et d’Angilbert ? De meilleures chances peut-être… Bien que bâtard – mais Louis ne l’est-il pas tout autant aux yeux de Charlemagne –, ce Nithard est né sous une bonne étoile. L’empereur apprécie Angilbert – tu le sais, mon père, mieux que moi – car il est, tout autant que le fut Alcuin (Dieu ait
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