Le secret de la femme en bleu
d’abord.
— Qu’est-ce que cela signifie ? s’écria le comte. Qui sont donc ces « autres » ?
— Mais vous, seigneur, je veux dire toi-même et l’abbé Erwin, je veux dire les missi dominici qui ont fait d’une pucelle d’une humble condition, libre cependant, la femme que je suis devenue !
Le Nibelung dévisagea Lithaire avec étonnement.
— En vérité, poursuivit-elle en souriant, j’ai suivi les conseils de l’abbé Erwin. Oui, seigneur, il m’a demandé de me mettre à ta disposition ! Sans doute a-t-il estimé que, dans une enquête comme celle que tu diriges, le secours d’une femme, d’une fidélité assurée, te serait de quelque utilité. De ce que m’avait appris mon père, Raoul le Rouvre, je crois n’avoir pas…
— Un instant, Lithaire ! intervint le comte. Dois-je comprendre que l’abbé Erwin a quitté Aix ? T’aurait-il accompagnée ?
— Il s’est rendu non loin d’ici, à l’abbaye de Gorze, pour y poursuivre sa retraite. Il a rejoint le frère Antoine qui y accomplissait une récollection.
— Sa retraite… une récollection, murmura Childebrand avec un léger sourire. En vérité… Et Timothée ?
Il fixa Lithaire.
— Se pourrait-il que, lui aussi, tout à fait par hasard, séjourne non loin de cette résidence ? demanda-t-il.
— C’est avec lui, à la tête d’une petite escorte, que j’ai fait route, seigneur, depuis Aix. Maître Déodat, avoué du chorévêque ( 14 ), l’a autorisé à se loger dans le quartier canonial ( 15 ) de Metz. Je crois qu’il dispose également d’une chambre à Yutz.
— Vraiment ?
Childebrand passa le pouce de sa main gauche sur sa courte moustache.
— Et le pourquoi de ces étonnantes rencontres ? dit-il. Le hasard ? Un prodige ?
— Rien de tel, tu le sais bien, seigneur, répondit la jeune femme avec assurance. En vérité, l’objet de ta mission n’est pas demeuré secret bien longtemps… Ce que trois connaissent, tous le connaissent bientôt… Sans qu’on ait su exactement à Aix ce qui s’était passé ici, on en a appris suffisamment pour comprendre que le sang avait coulé, que des forfaits abominables avaient été perpétrés ; toute la cour a pu constater le souci et l’irritation du prince. Et la discrétion dont il a voulu entourer la tâche qu’il t’a confiée, loin de faire taire les rumeurs, les a, au contraire, exagérées…
Lithaire hésita avant de conclure :
— Pourrais-tu alors faire grief à celui qui fut si souvent proche de toi, à ceux qui te sont tout dévoués de se tenir prêts… à toutes fins utiles… en une telle circonstance ?
Le Nibelung, pour toute réponse, se contenta de hocher la tête.
— Et toi, reprit-il, où comptes-tu séjourner ?
— Je crois préférable de demeurer à Yutz, surtout si, à quelque moment, je dois entreprendre des recherches discrètes. Je me suis présentée dans un petit prieuré tenu par des bénédictines qui ont accepté de me loger. A partir de là…
— Très bien ! coupa le missus dominicus. A l’occasion je te ferai mander. En attendant, « entreprends » ce que tu crois devoir « entreprendre ».
D’un geste de la main, sans sévérité, et même avec une certaine bienveillance, il indiqua à la jeune femme que l’entrevue était terminée.
Doremus attendait dans l’antichambre la fin de cette rencontre non sans anxiété. Aussi fut-il soulagé de voir Lithaire sortir calme et apparemment satisfaite de la salle où le missus dominicus l’avait reçue. Elle lui fit savoir que celui-ci n’avait pas opposé de refus à ce que l’abbé saxon et elle-même avaient envisagé. Elle pouvait même estimer qu’il lui en avait donné permission.
— Maintenant, ajouta-t-elle, si je dois apporter une aide à votre enquête, encore faut-il que j’en connaisse les résultats à ce jour.
— En effet, approuva l’assistant des missi. Eh bien, Lithaire, allons !
Ils commencèrent la visite de la résidence par le chemin de ronde pour qu’elle ait une idée de son étendue. Après être parvenus à la porte du sud s’ouvrant sur la route de Metz, ils parcoururent les allées qui la sillonnaient, avec une attention particulière pour les édifices qui les bordaient. Chemin faisant, Doremus la tint au courant de l’enquête, sans oublier les péripéties qui, déjà, l’avaient jalonnée. Lithaire, tout en écoutant très attentivement le récit de l’ancien rebelle, rangeait soigneusement en sa mémoire la disposition des
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