Le secret de la femme en bleu
décidai-je de m’établir dans le logement que Rikhilde avait occupé quelques heures ; elle s’installerait dans celui que je quittais, ce qui fut fait dans l’après-midi.
— De sorte que… commença Childebrand, bouleversé.
— De sorte que, seigneur, si, comme tu le soutiens, des assassinats avaient été projetés, c’étaient non ceux de Rikhilde et de ses enfants, mais ceux de moi-même et des fils que j’ai donnés à Charles le Grand, de Drogon, mon fier aîné, et de mon petit Hugues ! De sorte que les sicaires, lorsqu’ils sont entrés dans la chambre qu’on leur avait désignée, ont, dans l’obscurité, égorgé Rikhilde en croyant mettre à mort la concubine du souverain, étranglé les fils de ma servante, qui avaient à peu près les mêmes âges que les miens, en croyant supprimer les bâtards de l’empereur !
Elle prévint d’un geste de la main une question du missus dominicus.
— Oui, dit-elle, j’ai compris immédiatement qu’avec les miens, j’avais échappé à la mort par miracle. Mais pouvais-je remercier la Providence d’avoir placé sur le chemin de voleurs sanguinaires une autre que moi-même, d’autres enfants que les miens ? Quant à ton enquête… Quelles qu’aient été les victimes, ne s’agissait-il pas que leur mort soit vengée, qu’elle aboutisse au châtiment des coupables ? Mais voici qu’elle conduit – tentons d’oublier le soupçon qu’elle t’avait mis en tête – à cette horrible constatation : c’est moi, ce sont les miens qui étaient visés ! Je sais bien que ma position auprès de Charles le Grand me vaut envie et inimitié, qu’elle exacerbe les jalousies. Mais jusqu’au meurtre, seigneur ? Aussi sauvagement ? Quels peuvent donc être ces ennemis qui trament d’aussi sombres machinations ?
Elle regarda droit devant elle.
— Et qui, sans doute, n’ont pas renoncé ? ajouta-t-elle.
CHAPITRE III
Childebrand accueillit Lithaire avec un visage maussade. Doremus, pourtant, afin de préparer cette entrevue, lui avait rappelé l’aide qu’elle avait apportée à Erwin, quelques années auparavant, dans la répression de la conspiration dite de « la Salamandre ». Le comte, qui n’avait séjourné à Lyon que pour le dénouement de cette affaire, avait conservé de la jeune femme un souvenir assez vague. Par la suite il l’avait rencontrée, deux ou trois fois, à Aix et il savait qu’elle était entrée au service de Rotrude. Rien qui le poussât à lui prêter, dès l’abord, une attention particulière.
Lithaire, il est vrai, arrivait à un mauvais moment. Le comte était préoccupé : il repassait sans cesse en son esprit les renseignements que lui avaient fournis ses recherches, ainsi que les révélations d’Odile et de Régina. Pouvait-il considérer comme prouvé que les meurtres, plus que le vol – beaucoup de deniers quand même ! –, avaient été, en cette maudite nuit de mars, l’objectif principal des bandits, que Régina et ses fils étaient les victimes désignées et que, seul, un miracle les avait sauvés ? Et, en admettant que cela fût avéré, que de problèmes, ô combien irritants ! Le pourquoi des crimes, il pouvait, à la rigueur, le concevoir, bien qu’il eût quelque peine à admettre que la jalousie, la haine ou encore la crainte des dispositions testamentaires préparées par Charlemagne eussent pu conduire à des assassinats aussi monstrueux. Mais qui alors ? A chaque fois, les réponses que cette interrogation appelait altéraient gravement son humeur.
Quand Lithaire, qu’il avait écoutée d’abord d’une oreille distraite, en vint à lui indiquer qu’elle était venue à Thionville à l’incitation de la princesse Rotrude, il jeta à la jeune femme un regard sans aménité. Avoir sur place un émissaire, quel qu’il fût, de l’ambitieuse fille de Charlemagne, donc de son non moins ambitieux compagnon, le comte Rorgon, constituait un inconvénient dont il se serait passé volontiers. D’ailleurs que signifiait une telle irruption ? En envoyant cette Lithaire, quel objectif se fixait la fille du souverain ? Quelles consignes avait-elle données ? Il le demanda à son interlocutrice sur un ton sec. Elle ne se troubla pas.
— Je ne suis pas ici, répondit-elle posément, pour accomplir quelque mission obscure aux ordres de la princesse, non que je veuille la desservir – Loyauté me l’interdirait –, mais parce que je dois Obéissance et Dévouement… à d’autres qu’elle
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