Le secret de la femme en bleu
d’apercevoir plus d’une fois…
Sans vouloir le montrer, Childebrand avait écouté ces éloges avec un sentiment de satisfaction.
— Si tel est ton jugement, dit-il, il ne peut que me réjouir. Mais ma tâche est loin d’être terminée.
— Mon fils et moi-même, nous adresserons au Ciel les plus ferventes prières pour son heureuse fin, déclara Régina en s’inclinant légèrement devant le Nibelung.
Lorsque le comte Childebrand pénétra dans la salle de l’abbaye Saint-Arnoul où l’abbé Erwin se trouvait déjà, les deux hommes s’avancèrent l’un vers l’autre, le cœur en joie. Ils se donnèrent une accolade comme s’ils s’étaient quittés depuis des années. Ils firent ensuite quelques pas côte à côte pour savourer leur contentement. Puis ils prirent place autour d’une table sur laquelle étaient déposées des boissons.
— Étrange affaire quand même, commença Childebrand. Et ce qui s’est passé hier – Timothée te l’a sans doute relaté (le Saxon confirma d’un signe de la tête) – n’apporte aucun éclaircissement… au contraire ! Étrange et bien irritante : de graves et sanglants événements, sans cesse de nouvelles péripéties, des soupçons très désagréables… et puis : confusion et énigmes ! Peut-être l’enquête a-t-elle progressé.
— Plus, sans doute, qu’on ne l’imagine, ponctua Erwin.
— Il se peut. Mais les résultats ne sont guère apparents. Ami, il faut avoir le courage de regarder la réalité en face : Rikhilde et la nourrice Odile, deux enfants mâles dont un bâtard de Charles, un garde, puis cinq inconnus ont été assassinés, un trésor a été volé et, après plusieurs semaines de recherches, les voleurs et meurtriers courent toujours !
— Si tant est qu’ils courent…
— Telle est la vérité et elle m’échauffe la bile plus que je ne saurais dire.
Le comte ajouta sombrement :
— Et je ne suis pas le seul.
— Mon humeur, en effet, n’est pas moins affectée, plaça le Saxon.
— Je voulais parler de l’empereur.
— Je m’en doutais, ajouta Erwin avec un léger sourire.
Childebrand demeura songeur un instant avant de poursuivre :
— Peux-tu imaginer le climat que j’ai trouvé à la cour ?
— Il n’y a pas si longtemps que je l’ai quittée.
— Il est vrai. Cela me paraissait si loin !
— J’en ai donc eu un avant-goût.
— Et moi, j’en ai eu plus que mon content ! Pour te dire le fond de ma pensée, je me demande si ce plaid général et surtout la préparation de dispositions testamentaires étaient vraiment avisés. D’autant que notre prince – Dieu en soit loué –, mis à part quelques inévitables atteintes de l’âge, a la vigueur d’un dix cors !
— Il paraît, glissa Erwin, imperturbable.
— Donc, à la cour, comme résultat de ces initiatives : intrigues et querelles, calomnies, accusations sordides, et j’en passe… Là-dessus, l’affaire de Thionville. De même qu’en un ciel chargé un éclair, subitement, paraît déclencher l’orage, de même cette tragédie est apparue au prince comme la cause même de ses ennuis, alors que… Il est vrai qu’elle l’affecte personnellement et douloureusement. Conséquence ? Ah, si je n’avais pas été son cousin, bien qu’il me porte, je crois, estime et affection, Charles m’aurait à coup sûr exprimé son insatisfaction, son courroux, beaucoup plus rudement qu’il ne l’a fait.
— Je connais sa rigueur. Empereur, il a le droit de tout exiger. Mais nous connaissons aussi sa rectitude.
— Il est vrai qu’il ne pouvait se montrer content de ce qui me mécontente tellement, reconnut Childebrand… Mais l’important, c’est ce qu’il a décidé : d’abord de nous attribuer des renforts. Je suis arrivé d’Aix avec un imposant détachement de gardes commandés par Hermant. De ce côté, nous sommes donc parés.
— Excellent !
— De plus, avec sa permission, en fait sur son ordre, Timothée et le frère Antoine redeviennent, comme Doremus, ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être.
— Tes assistants, je gage.
— Des assistants… car en ce qui te concerne…
Childebrand hésita un court instant.
— Le mieux, reprit-il, c’est que je te répète ce qu’il m’a dit, exactement. Tu sais comment il est. On croit qu’il parle… comme cela… mais, avec lui, chaque mot compte ! Voici donc ses paroles : « Je compte sur vous pour tirer cette affaire au clair rapidement. Il le faut ! Je
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