Le secret de la femme en bleu
mais aussi avec combien d’autres ! – n’était-elle pas aussi coupable que ce chef de bande, sa complice la plus redoutable, puisqu’elle mettait son charme vénéneux au service de ses entreprises ? Alors… passe de l’avoir épargnée…
Le moine regarda Erwin avec un visage exprimant de douloureux reproches.
— … mais lui avoir permis de se réfugier ici, à Metz, en ce couvent Sainte-Glossinde… Comment est-ce possible ?
— Elle ne s’est pas « réfugiée », rectifia le Saxon sèchement. C’est moi qui ai décidé sa venue, qui l’ai fait admettre en cet établissement.
— Toi, seigneur, toi ? Le moine se tut, atterré.
— Et je l’ai décidé parce qu’elle attendait un enfant qui est né il y a cinq semaines, précisément en ce couvent.
— Un enfant ? bégaya le frère Antoine. Mon Dieu… Es-tu certain que c’est un humain et non un monstre à tête de crapaud, à la langue fourchue, au corps couvert d’écailles et…
— Rien de tel ! coupa l’abbé saxon, mais, à ce que m’a dit une des bénédictines qui l’ont accouchée, un mâle bien constitué.
— Un mâle, répéta le moine, bien constitué… Sait-elle seulement quel en est le père, cette catin qui a provoqué et subi tant de saillies ?
— Je crois qu’il y a de la distance entre provoquer et subir. Mais là n’est pas la question. Certes non !
Erwin fixa son assistant.
— Je comprends, lui dit-il, qu’après ce que tu as enduré, tu t’indignes. Je t’avais averti et j’ai renouvelé cet avertissement quand nous sommes entrés dans cette chambre : ce que j’allais te demander serait certainement pénible et douloureux pour toi, peut-être même insupportable. Si tu n’avais pas été le seul à pouvoir l’assurer, je ne te l’aurais certainement pas imposé. Mais voilà…
Le Saxon jeta sur le moine, qui montrait toujours un visage attristé et fermé, un regard sévère et lui lança :
— Mais que signifient cet air et cette attitude ? Ai-je jamais manqué à mes devoirs, ceux qu’exige ma fonction, ceux que réclame mon état, ceux que je dois au prince et à Dieu ?
Le Pansu baissa la tête.
— Veuille me pardonner, seigneur ! dit-il. Mais j’ai été naguère si meurtri…
— Redresse-toi et écoute-moi, cela vaudra mieux ! Puisque tout est encore si présent en ta mémoire – il est vrai que quelques mois seulement nous séparent de ces événements –, je n’ai pas besoin de remémorer quel a été le sort de ces « compagnons de la nouvelle lune », de leur chef Amric et de ses complices, ni pourquoi et comment la Brenne a pu échapper à un nouveau désastre, après ce qu’elle avait subi lors de la longue guerre qui a opposé jadis les Francs et les Aquitains.
— Nul besoin, seigneur… Mais quels pénibles souvenirs !
— Je sais cela, mon fils. Mais il faut maintenant revenir à Agnès. Il y a quelques mois de cela, une nonne qui avait fini par la prendre en pitié m’a fait savoir par un messager qu’elle était soumise à de très mauvais traitements dans le couvent de Tours où elle se trouvait et qu’en conséquence, étant recrue de fatigue et souvent battue, elle risquait de perdre l’enfant qu’elle attendait. Malgré sa grossesse assez avancée et en dépit des difficultés d’un voyage hivernal, je l’ai fait transporter en ce couvent-ci. Elle a accouché, dans les tout derniers jours de mars, d’un fils donc, et sans nul doute, ayant Amric pour père.
— Sans nul doute ?
— Aucun ! J’avais demandé, et obtenu, que son transfèrement puis la naissance de son enfant fussent tenus secrets. J’ai besoin, à présent, que la rumeur en parvienne à certaines oreilles…
Erwin arrêta d’un geste la question que le frère Antoine avait aux lèvres.
— Un instant ! dit-il. Pour ce qui doit suivre, j’avais également besoin d’un poste d’observation d’où l’on puisse apercevoir l’entrée du couvent Sainte-Glossinde, et surveiller les allées et venues. Cette chambre convenait. J’ai eu quelque difficulté à en obtenir la location de ce grippe-sou d’aubergiste qui avait flairé la bonne affaire. Une quantité, à vrai dire excessive, de deniers l’a convaincu. Nous voici à pied d’œuvre. Ou je me trompe fort, ou, à l’affût derrière cette fenêtre, tu pourras faire des observations qui vont nous permettre de donner à l’enquête un cours nouveau, d’aborder enfin la véritable énigme.
— A l’affût ? Mais de quoi ?
—
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