Le secret de la femme en bleu

savais bien que j’avais frappé juste comme il le faut : assez pour le mettre hors de combat, mais point trop… pour qu’il survive… J’espère ne pas avoir effacé ses souvenirs.
    Il montra alors l’autre corps, celui qui était vêtu comme un milicien.
    — Quant au « tien », mon cher « marquis des clairières », j’ai bien peur que tu n’aies eu la main un peu lourde : le misérable a rendu sa vilaine âme au diable !
    — Pouvais-je savoir, mon cher Goupil, répliqua Doremus, que nous avions affaire à d’aussi piètres combattants ? Le moment n’était plus aux demi-mesures.
    — Aussi as-tu fait bonne mesure ! Il est vrai qu’en tant qu’adversaires…
    Le Grec fit une moue de mépris.
    — Et d’ailleurs, reprit-il, en y réfléchissant… Ce seul fait déjà… Qu’en penses-tu ?
    — De quoi ? Tu veux dire : qu’ils aient été aussi pitoyables… Oui, oui… cela donne à réfléchir… Mais plus tard ! D’abord mettre à l’abri ce survivant !
    Doremus fit placer sur un brancard celui que le gourdin de Timothée avait abattu et qui était toujours sans connaissance. Il ordonna qu’il soit emmené au valetudinarium pour y être soigné sous bonne garde. Il n’était pas exclu qu’un comploteur veuille achever cet unique témoin. Sauvat fut chargé de veiller à l’exécution de ces prescriptions.
    Quant au « milicien » tué par Doremus au cours de l’assaut, il fut transporté à l’intérieur du logement de la favorite et étendu à côté des autres cadavres. L’ancien rebelle et le Grec guettaient la réaction de Médéric. Dès que celui-ci l’aperçut, il blêmit, son visage exprima une intense surprise.
    — Bragard ! s’écria-t-il. Est-ce Dieu possible ? Mais…
    — Je ne crois pas, coupa Doremus, que Dieu ait quoi que ce soit à voir en pareille affaire. Cela dit, la présence de cet homme, appartenant à la milice de cette résidence, laquelle, jusqu’à plus ample informé, est sous ton commandement, sa présence donc parmi les agresseurs appelle, tu t’en rends bien compte, des explications. Cela, et bien d’autres faits troublants, Médéric. Mais chaque chose en son temps.
    Timothée, lui, avait continué à examiner les morts, avec l’œil exercé de celui qui, jadis, avait occupé de hautes fonctions à Constantinople dans les services d’ordre et de sécurité. Il désigna l’homme qui avait dirigé l’assaut.
    — Celui-ci, estima-t-il, est, sans conteste, un vrai tueur à gages. Cela se voit à sa tunique de convenable facture, à son glaive de bon acier, au coutelas de corps à corps qu’il porte encore à droite, au lacet d’étranglement qui est passé à sa ceinture. Mais les deux autres…
    Il eut un sourire de mépris.
    — De la racaille ! Regarde ces vêtements d’étoffe grossière et rapiécés, ces chaussures trouées… Quant aux armes…
    Il saisit un glaive, sortit sur le pas de la porte et porta du plat de cette arme un coup violent sur l’arête d’un bloc de pierre qui se trouvait non loin. L’arme se courba.
    — La preuve ! dit-il en se frottant l’avant-bras droit avant de la replacer près du cadavre.
    Régina, qui avait suivi tous ces mouvements avec un apparent sang-froid, porta subitement la main à son cou, comme si elle avait de la peine à respirer, et parut sur le point de défaillir. Blanche et Lithaire se précipitèrent à ses côtés pour la soutenir. On entendit des pleurs derrière la tenture. Drogon, l’aîné, s’était sans doute réveillé. Doremus se tourna vers la favorite.
    — Nous allons, sur-le-champ, faire place nette, assura-t-il. Il vaut mieux éviter aux enfants cet abominable spectacle… et libérer enfin ton logis.
    Des esclaves se hâtèrent de transporter les corps jusqu’à une maison en construction située à proximité ; des servantes s’affairèrent à laver le sol et à remettre la salle à peu près en ordre. Médéric et ses miliciens avaient regagné leur poste ; gardes et auxiliaires de la mission impériale étaient partis, soit assumer des tâches de surveillance, soit prendre un peu de repos.
    Timothée et Doremus retrouvèrent, au logement de ce dernier, Sauvat qui avait accompli les missions qu’on lui avait confiées. Lithaire les rejoignit pour participer à un premier et bref échange de vues.
    Dans l’appartement de Régina, plus rien, ou presque, n’indiquait qu’un sanglant affrontement s’y était déroulé, peu de temps auparavant. Blanche avait « obligé