Le secret de la femme en bleu
pouvaient avoir hébergé ou hébergeaient encore des voyageurs suspects. Ils en chargèrent Doremus, Timothée, qui avait regagné la ville, et le diacre Dodon. Erwin les reçut pour préciser de quelle manière il entendait qu’ils conduisent leurs enquêtes.
— J’ai de bonnes raisons de croire, leur dit-il, que non seulement Magne et Fabian, mais encore la femme en bleu, et quelques complices avec eux, n’ont pas quitté la ville.
Il regarda tour à tour ses assistants.
— Maintenant, glissons-nous un instant dans leur peau, aussi déplaisant que ce soit ! A leurs yeux, si nous croyons vraiment avoir démasqué et mis en détention les organisateurs des coups de main et forfaits, nous devons rechercher ceux qu’ils ont stipendiés pour les commettre. Et, même si c’est sans grand espoir, nous devons commencer par Metz, quitte à constater que cette quête est infructueuse et à poursuivre nos investigations ailleurs. Tel est le raisonnement qu’ils doivent nous prêter. Pourquoi les décevoir ? Je vois que vous m’avez entendu. Qu’ils continuent donc de croire que nous nous agitons comme des hannetons, que nous accumulons les bévues, que nous donnons dans tous les pièges !
Le Saxon conclut avec un sourire :
— Et surtout ne vous pressez pas !
Metz et ses alentours comptaient une douzaine d’auberges convenables à quoi s’ajoutaient des tavernes et gargotes disposant de dortoirs plus ou moins pouilleux. Les aides des missi se répartirent la tâche. Ils commencèrent leurs démarches sans dissimuler qui ils étaient, ni pour le compte de qui ils œuvraient, sans en celer la raison. Ils furent accueillis, selon les cas, avec hostilité, avec froideur ou avec une feinte amabilité, mais toujours avec méfiance. Des voyageurs suspects ? Mais qui peut dire qui l’est ou qui ne l’est pas ? Ne voit-on pas des gens de mauvaise apparence se révéler honnêtes, d’autres, fort avenants, être de franches canailles ? Une attitude, des habitudes, des fréquentations étranges ? Ah ! dans le métier, on en voit tellement et de toutes les façons ! S’il fallait faire attention à cela… Et puis, est-on là pour surveiller la pratique ?… Des armes ? Quel voyageur, par les temps qui courent, ne porte pas de quoi se défendre en chemin, au moins un bon coutelas ? Mais des larrons, des scélérats, là non ! Des hôtes généreux ? « A bien y penser, certains qui ont séjourné ici, quelques jours ou quelques semaines, n’ont pas été avares de leurs deniers, admirent des aubergistes. Faut-il s’en plaindre ? D’ailleurs tous, à présent, sont partis. » Depuis longtemps ? « C’est selon… Les derniers tout récemment. »
Évidemment, les trois enquêteurs auraient pu pousser plus avant leurs recherches, mettre à profit certaines hésitations, certains signes de crainte, presser de questions non seulement les maîtres mais aussi leurs serviteurs et servantes, recourir à l’intimidation, voire à des menaces auxquelles leur qualité d’auxiliaires au service des redoutables missi dominici aurait donné tout son poids. Ils s’en abstinrent, se souvenant des recommandations d’Erwin. Dans le même esprit, ils procédèrent avec une lenteur cal-culée, de manière que les intéressés apprennent sans tarder par la rumeur que des investigations étaient en cours et sur quoi elles portaient. Taverniers et gargotiers eurent bientôt abondance de motifs pour rire sous cape d’enquêteurs zélés certes, mais, ô combien, balourds !
Restait à « explorer » les « maisons », mi-bouges, mi-lupanars, ainsi que les caches et refuges qui abritaient dans Wanzenstat ( 37 ), le quartier réservé, lacis de ruelles quasi impénétrable, un monde secret et trouble : clients avides de plaisirs grossiers, aigrefins de tout poil, bandits en fuite, proxénètes et prostituées, logeurs véreux, parmi lesquels survivaient des mendiants, estropiés, manchots, culs-de-jatte, vrais et faux aveugles et monstres repoussants : une cour des Miracles sur laquelle régnaient d’impitoyables meneurs qui prélevaient leur dîme sur la misère et sur l’horreur. Des enquêteurs, même malavisés, ne pouvaient négliger d’inclure dans le champ de leurs recherches ce dédale qui offrait à des bandits, à des sicaires, donc à ceux qu’ils recherchaient, des repaires de toutes les sortes et, sans doute, la protection de la canaille.
Laissant Dodon sur une petite place, à l’angle d’une ruelle, voie
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