Le secret de la femme en bleu
et avec honneur, je crois ! Mais écoute-moi ! A Lyon, où j’ai passé toute mon enfance, pucelle de condition libre, j’ai vécu une existence très modeste, vendeuse de simples et de miel, saltimbanque, avec mon père et mon frère, à l’occasion. Tu vois, je ne te cache rien. Tu peux imaginer que, sur les marchés, j’en ai entendu de toutes les sortes. Alors, la façon dont tu as mené ta vie… Je ne suis ni ton ennemie ni ton juge. Et puis, Agnès, je suis mère, comme toi, d’un fils beau et joyeux – que Dieu le garde ! La seule chose qui compte à mes yeux, c’est que, quoi que tu aies fait, tu n’aies jamais appartenu à l’Autre ! L’abbé Erwin m’en a donné l’assurance et cela me suffit. De toute façon, ton destin, comme le mien, est entre les mains du Tout-Puissant !
Agnès secoua la tête, songeuse.
— L’Autre, il est vrai, m’a induite en tentation… Oh ! plus d’une fois ! Mais jamais, tu entends, jamais, il n’a pu avoir prise sur moi. J’étais sur mes gardes. Et puis, vois-tu, il me répugne. Je le hais ! Quant à ma destinée… Aux mains du Très-Haut, as-tu dit ? Désormais, que m’importe. Car il n’y a pas si longtemps… Ce que je fus… Oh ! temps merveilleux, oui Lithaire, enchanteurs ! Et aujourd’hui, me voici en face de toi, dont la seule présence me confirme que les dés sont jetés. Laisse-t-on derrière soi ce que l’on fut comme mue un serpent ? Si je rêve encore, ce n’est plus que pour lui (elle désigna son fils), oui d’un avenir glorieux, et, d’abord, d’un avenir tout court.
— N’aurais-tu pas confiance en l’abbé Erwin, en ce qu’il t’a dit quand il t’a fait visite peu après ton arrivée en cette abbaye ?
— Certes, je connais sa rectitude, sa droiture. J’en ai déjà eu maintes preuves. Mais ne sert-il pas l’empereur avant tout ?
— Assurément !
— Et si l’intérêt du souverain lui commande de…
Lithaire l’interrompit avec un geste d’indignation.
— Que signifie cela ? lança-t-elle. Mettrais-tu en doute sa parole ? Je l’ai vu, au risque d’encourir la colère du prince, honorer ses engagements…
— Je l’ai vu aussi. J’en témoigne. Mais si moi, ayant à faire un choix cruel, je le plaçais dans l’obligation de…
— Agnès, sur mon honneur, je ne sais pas plus que toi ce qui te menace et il me semble même en savoir bien moins que toi. Ce que je sais, en revanche, c’est que des bandits n’ont pas hésité à assassiner une femme et ses deux enfants, ainsi qu’un milicien, à perpétrer non loin d’ici un horrible massacre ! Ce que je sais également, c’est qu’ils ont sans doute en tête des forfaits encore plus abominables. Ce que je sais enfin, c’est qu’il faut tout faire pour les mettre hors d’état de nuire, à quoi s’emploient les missionnaires de Charles le Juste ! A ma place, celle qu’ils m’ont assignée, auprès de toi pour l’heure, j’accomplirai sans défaillance la tâche qui m’a été confiée, quoi qu’il advienne !
— Jusqu’à risquer ta vie ?
— N’as-tu pas risqué la tienne pour une cause que je condamne ? Cependant, ici, au cœur de ce monastère, je ne crois pas que cette tâche doive être aussi héroïque.
— Mais si elle devait l’être ?
Lithaire montra le poignard qu’elle portait à la ceinture, dissimulé par un pli de sa tunique.
— La guêpe a un méchant dard, dit-elle, et on ne l’attrape pas si facilement.
— Comme j’aimerais avoir la certitude qui t’habite, énonça Agnès d’une voix émue, et ton courage tranquille !
Elle regarda au loin et se redressa avec des gestes très lents et un mouvement souple de tout le corps.
— Hélas !… soupira-t-elle.
Les comploteurs étaient-ils demeurés à Metz, dans la région ? En toute logique ils n’avaient aucune raison de rester sur place, ayant eu le temps de prendre le large avec leur butin. Trois observations cependant semblaient indiquer le contraire : en premier lieu, ils avaient poursuivi leurs opérations jusqu’à une date récente ; en second lieu, le frère Antoine avait formellement reconnu Magne devant le portail du couvent Sainte-Glossinde ; enfin, l’un des deux hommes que Doremus avait aperçus près de l’église Sainte-Ségolène n’était autre que Fabian. Si ces deux-là étaient encore à Metz, pourquoi pas d’autres avec eux ?
Les missi dominici décidèrent, à toutes fins utiles, de faire mener des recherches en tous les lieux qui
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