Le secret de la femme en bleu
n’a suscité déjà que de trop abondants commérages, n’épargnant rien, ni personne ? Ne sais-tu pas qu’aucun démenti, fût-il le plus ferme, aucune mise au point, fût-elle la plus fondée, ne lavent vraiment du soupçon ? L’Écriture, encore une fois, mon fils, indique la voie de la sagesse lorsqu’elle rappelle : « Malheur à celui par qui le scandale arrive ! » Ne sois pas celui-là ! Écoute sa leçon ! Et prie ! Car le Seigneur, lui, est le juge suprême.
Magne et Alban, dès leur incarcération, avaient été soumis à des interrogatoires sévères. Magne, bien que subissant la question – Erwin avait ordonné qu’elle ne fût pas poussée trop loin –, ne desserra pas les dents. Les aveux qu’il aurait pu faire perdirent de leur importance dès lors qu’Alban, lui, ne fit aucune difficulté pour fournir de nombreuses indications sur le complot. Il révéla notamment ce qu’il était advenu des sommes volées. Confirmant et complétant les résultats de l’enquête menée par Timothée à l’« Auberge du Nautonier joyeux », il précisa que, dans la cour de cette auberge, en pleine nuit, les deniers avaient été répartis dans des sacs. Les coffres vides devaient être déposés sur le domaine du baron Rupert. Une petite partie du butin avait été emmenée à Metz et, là, « mise en sécurité » quelque part, il ne savait où, dans Wanzenstat, sous la surveillance de la « femme en bleu » elle-même. Ces sommes-là allaient servir à payer les hommes de main recrutés sur place et à assurer la subsistance des Aquitains. Quant à la majeure partie, elle avait été transportée au quartier général de la bande, dans le Limousin, sans doute dans les monts d’Ambazac.
Sans perdre de temps, Hermant, pourvu d’un ordre de mission portant les sceaux du comte Childebrand et de l’abbé Erwin, prit avec une douzaine de gardes, armés légèrement, la route du sud. Ils utiliseraient en chemin leur droit de tractoriae ( 40 ) et compléteraient leur équipement à Limoges, où un fort contingent de Francs tenait garnison. Ils y puiseraient au besoin des renforts. Il fallait avant tout agir rapidement…
Les interrogatoires de sicaires apportèrent de nombreuses informations sur les rôles des acteurs et le déroulement de la machination ourdie par Raynal. Elles soulignèrent notamment l’importance de Magne. Il avait tenu en particulier à commander lui-même l’assaut au cours duquel il s’agissait d’assassiner Régina et ses fils ainsi que de voler les coffres. La rage qu’il y avait mise expliquait, pour une large part, qu’il ait pu se tromper de victimes. C’est lui aussi qui avait convaincu Raynal d’en finir au plus tôt avec les complices et témoins de ces crimes, lesquels auraient pu devenir trop bavards… ou trop exigeants. Le massacre du bois de Saint-Martin avait été perpétré à son instigation et sous ses yeux. C’est lui toujours qui avait eu l’idée de faire parvenir au comte Childebrand, par les procédés les plus insolites, ces messages rédigés sous la dictée de Raynal et qui entraient subtilement dans le cadre de la campagne tendant à mettre en cause les grands de l’empire. Mais c’est Raynal lui-même qui avait conçu et organisé le second coup de main, celui qui avait eu lieu début mai. Il avait pour objet d’ancrer dans les esprits l’idée que la préparation des dispositions testamentaires ordonnée par Charlemagne avait déchaîné des querelles d’une telle violence que l’un des bénéficiaires éventuels n’avait pas hésité à recourir à des tueurs pour éliminer Régina et les bâtards de l’empereur. Peu importait alors que les exécutants eussent été d’une maladresse insigne. Au contraire : leur mort effaçait toute piste.
Quant à Fabian, les dépositions des sicaires apportèrent la confirmation qu’il avait joué un rôle important dans la préparation du premier coup de main en organisant le convoi transportant les assassins, en facilitant son entrée dans la résidence impériale, puis en assurant la fuite de la bande. En ce qui concerne l’attentat contre Lithaire, il fut avéré qu’il en avait pris, seul, l’initiative, s’exposant d’ailleurs à de vifs reproches de la « femme en bleu ».
Cependant, pour les Aquitains, il n’avait jamais été qu’une « pièce rapportée », un complice se joignant tardivement à la conspiration, et pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec leur
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