Le secret de la femme en bleu
n’aurais jamais fait mention de cet attachement singulier s’il n’expliquait, au moins en partie, pourquoi les bandits ont pu longtemps, trop longtemps, égarer nos recherches et, d’autre part, se procurer des complicités jusqu’au cœur de la résidence impériale.
Hunault s’était levé et, le dos courbé, avait traversé la salle. Puis il avait quitté l’audience. A un garde qui tentait de l’en empêcher, Childebrand avait fait signe de le laisser aller.
Le représentant de la chancellerie, Romuald, qui avait écouté avec attention les missi dominici, se leva à son tour et demanda d’une voix posée :
— Ce que vous venez de nous apprendre, seigneurs, vous était-il connu au moment où vous nous avez… – comment dire ? – transférés en ce lieu pour y être, en fait, mis au secret ?
— Encore une fois, n’exagérons rien, répondit le Saxon. Disons plutôt : mis en sécurité ! Sans doute ne connaissions-nous pas tout de ce complot aquitain, mais nous en savions assez pour comprendre, par exemple, eh bien, que vos vies étaient en danger ! Nous avions recueilli des renseignements selon lesquels les bandits étaient sur le point de s’attaquer à vous ! Oui, à vous !
Doremus et Timothée regardèrent le Saxon avec des yeux ronds.
— Voulant ne prendre aucun risque, nous avons donc décidé de vous mettre à l’abri, entre ces murs, sous la protection d’hommes sûrs !
— Mais pourquoi, par tous les diables, l’avoir fait de telle façon que notre réputation et notre honneur s’en trouvèrent entachés ? s’écria Hainrik, de nouveau au bord de la colère.
— Lorsqu’on conduit, ensemble et sous bonne escorte, des dignitaires tels que vous, en vue de les placer, un temps, sous la protection de murs solides et de gardes vigilants, peut-on éviter que les apparences ne donnent prise à des interprétations malveillantes et même à des calomnies ? Votre sauvegarde ne passait-elle pas avant tout ?
— Notre sauvegarde… grogna le chambrier.
— Et maintenant, conclut Erwin, les mises au point qui vont être rendues publiques ne feront-elles pas justice de tous les ragots ?
— Peut-être, s’obstina Hainrik. Mais je ne me tiendrai pour satisfait, et mes amis avec moi sans doute, que lorsque les plus hauts dignitaires de la cour et, pourquoi pas, le souverain lui-même, nous auront, eux, rendu justice !
Le Saxon, avec un sourire ironique, regarda, tour à tour, ceux qui se trouvaient devant lui.
— A votre place, je ne m’y risquerais pas, lâcha-t-il.
— Et pourquoi, s’il te plaît ? répliqua le chambrier avec superbe.
— Soit ! A votre guise ! Mais nous nous trouverons alors forcés d’expliquer, et par le menu, ce qui s’est passé pendant cette désastreuse journée de mars : comment les bandits, sans être inquiétés, ont pu franchir les portes de la résidence, comment les chariots de vin et les fourgons ont pu approcher du palais, au mépris de toutes les règles de la vigilance, comment, abandonnant miliciens, domestiques, servantes et même esclaves aux effets d’un mauvais vin, vous vous êtes retirés pour… fêter la venue du printemps, comment vous n’avez découvert qu’à la minuit, et cela parce qu’un nourrisson avait donné l’alerte, des faits abominables, comment vos lamentables recherches… Dois-je continuer ?
— Mais je ne suis pour rien dans tout cela ! s’exclama le baron Rupert. Et la seule chose qui pouvait me mettre en cause, c’est-à-dire la découverte sur mon domaine des coffres volés, vidés de leurs contenus, est maintenant élucidée ! Qu’est-ce qui m’empêcherait donc de demander réparation pour le traitement auquel vous m’avez soumis et qui, quoi que vous en disiez, n’a pu que me porter tort ?
— Il est vrai ! estima Erwin. Rien, ni personne ne t’empêchera de déposer une requête. Mais, soulevant les mêmes problèmes que celle du comte Hainrik, elle aboutira au même résultat. Je laisse alors à ceux qui sont ici le soin d’en apprécier l’opportunité !
— Mon fils, intervint alors l’abbé Magulphe, moi qui suis, en tant que chorévêque de Metz, l’humble successeur des très illustres Chrodegang et Angelram, lesquels ont jadis obtenu du souverain que soient confiées à ton père les terres qu’il t’a transmises, je dois te mettre en garde. Crois-tu qu’il soit nécessaire d’attirer davantage l’attention sur une affaire que l’empereur avait souhaité tenir secrète et qui
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