Le secret de la femme en bleu
apporter des nourritures et vins rares et livrer des femmes galantes qu’ils éblouissaient par leurs largesses. Ce fut d’ailleurs ce qui les perdit. Par les confidences d’une de ces courtisanes, Hermant apprit où ils se cachaient. Amollis par leur vie relâchée, ils n’opposèrent qu’une résistance dérisoire à l’assaut des gardes impériaux. Six d’entre eux, les plus courageux, furent tués, quatre faits prisonniers. Les assaillants n’avaient eu qu’un blessé léger. Hermant fit entreprendre sur place l’inventaire des deniers qui restaient, en présence du notaire de l’escadron et de quatre témoins. Ce qu’il rapporta à Metz représentait à peine le quart des sommes initialement récoltées pour le plaid général.
Les délibérations du tribunal, composé seulement du comte du palais ainsi que du comte Childebrand et de l’abbé Magulphe, en tant que chorévêque de Metz, comme assesseurs, ne durèrent qu’une journée. Étant donné les charges retenues contre les inculpés et la nature de leurs actes, tous furent condamnés par cette juridiction d’exception à périr dans les tortures. Du moins leur épargna-t-on la cruelle, l’insupportable attente. Ils furent suppliciés le lendemain, en présence du comte du palais et de l’abbé Magulphe, venu leur apporter dans les souffrances le secours de la religion. Magne et Fabian moururent courageusement, Alban piteusement. Le plus pitoyable fut ce gueux embauché comme sicaire, que Timothée avait assommé lors du second coup de main et qui avait cru jusqu’au bout échapper au pire des châtiments.
Quant au tenancier du lupanar et à sa compagne, ils furent pendus sans procès.
Lorsque Hunault, qui était revenu à Aix, apprit quelle avait été la fin de Fabian, il se suicida par le poison. L’empereur n’eut pas à se préoccuper de son sort.
Erwin, peu de temps après son entretien avec Childebrand, avait regagné l’abbaye de Gorze pour une longue retraite marquée par des jeûnes et des mortifications. Il s’était isolé du monde et ne fut tenu au courant du dénouement que par de courts messages que lui fit parvenir le frère Antoine.
Cependant, une semaine après la sentence et l’exécution des condamnés, après avoir passé une journée en prières, il regagna Aix discrètement, sans prévenir ni le comte, ni ses assistants, ni Hermant, ni Sauvat. Il ne reçut que le diacre Dodon, venu lui fournir des renseignements sur le sort d’Agnès. Alors il décida d’accomplir la démarche qui lui tenait à cœur et que, pourtant, il redoutait.
Dodon avait précisé que le souverain avait accédé aux souhaits formulés dans une requête écrite par le Nibelung et le Saxon : il avait fait attribuer à Agnès un logis, non loin du palais, une domesticité et une dotation honorable. Lithaire se trouvait près d’elle quand Erwin se présenta. L’épreuve avait rapproché les deux jeunes femmes. L’abbé saxon conversa un instant avec elles. Lithaire lui indiqua qu’elle avait repris sa position comme dame d’atour auprès de la princesse Rotrude et lui confirma, en tempérant l’expression de sa joie devant Agnès, qu’elle attendait un deuxième enfant. Puis, après avoir reçu la bénédiction de l’abbé, elle se retira.
Son départ fut suivi d’un long silence qu’Agnès rompit d’une voix émue :
— Tous morts, n’est-ce pas… et de quelle atroce façon…
Erwin hocha la tête lentement.
— Je pourrais te dire, énonça-t-il, que rien n’est pire que la guerre qu’ils voulaient rallumer… des morts par milliers… des horreurs… des saccages… des ruines… Je pourrais te dire qu’ils avaient les mains tachées de sang, qu’ils n’avaient pas reculé devant les pires des crimes. Je pourrais encore… Mais à quoi bon… Mon devoir, à moi, c’était d’anéantir ce complot… Et toi, c’étaient les tiens !
Il eut un geste las.
— Suppliciés, murmura-t-elle. Tous, suppliciés ! Ah ! Dieu… Et moi qui…
— Agnès, plaça Erwin, le Ciel me soit témoin que j’ai voulu t’éviter le pire.
— Allons donc ! s’écria-t-elle. Lorsque tu as ordonné que je sois transférée de Tours à Metz, peut-être pensais-tu déjà qu’en quelque circonstance ma présence en cette cité te serait utile !
— Tu sais bien, Agnès, que cette supposition est absurde… et injurieuse.
Elle passa la main sur son front.
— Pardonne-moi, seigneur ! Mais c’est atroce, insoutenable… Ce
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