Le Secret de l'enclos du Temple
personne ne connaissait la véritable justification de sa présence si fréquente.
En vérité, l'abbé était un espion. Avec MM. Zongo Ondedei et le gantier Tomaso Ganducci, il faisait partie des agents secrets de Mgr Mazarin.
Depuis des semaines, Fouquet venait d'autant plus souvent au tripot que son maître le cardinal voulait savoir ce que préparait le propriétaire de l'établissement : Louis d'Astarac, marquis de Fontrailles, actuellement embastillé.
Les Astarac étaient de première noblesse. Le père du marquis, converti au protestantisme, sénéchal d'Armagnac, avait épousé une Montesquieu. Peut-être sincèrement affecté par les misères du peuple, peut-être fasciné par la république protestante que les réformés avaient un temps souhaitée en France, le marquis lui-même défendait l'avènement d'une république, avec un sénat comme celui de l'antique Rome. Une république dont il aurait tout de même été premier consul !
Longtemps, M. de Fontrailles avait comploté avec les grands du royaume pour parvenir à ses fins, surtout en tentant d'assassiner Richelieu, qu'il haïssait depuis que le Cardinal l'avait traité de monstre en se moquant de sa petite taille, de sa laideur et de ses difformités. La première tentative avait eu lieu à Amiens avec la complicité de son ami Claude de Bourdeille, comte de Montrésor. Mais ni Monsieur 21 ni le comte de Soissons, leurs maîtres respectifs, n'avaient eu le courage d'ordonner le crime. Le duc d'Orléans avait d'ailleurs avoué plus tard ne pas être capable de le commander. Une autre fois, alors que le roi se plaignait de son ministre, Fontrailles s'était proposé de le traiter comme Concini, mais Louis XIII, craignant la damnation, n'avait osé acquiescer.
Le marquis, ayant retenu de ces expériences la pusillanimité des princes de sang, s'était rapproché du favori du roi, Cinq-Mars – Monsieur le Grand – pour l'entraîner dans un complot qui devait provoquer sa perte. Fontrailles avait apporté au roi d'Espagne un traité signé par les conjurés qui prévoyait la déposition du roi et son remplacement par son frère, le duc d'Orléans, avec Cinq-Mars comme premier ministre, en échange de quatre cent mille écus.
Les conjurés avaient été fort près de réussir, et sans l'habileté de Giulio Mazarini, et de M. Fronsac, Fontrailles aurait pu accéder au sommet de l'État 22 .
Après l'échec de cette conspiration, le marquis s'était réfugié en Angleterre avec son ami Montrésor, entre-temps dénoncé par son maître Gaston d'Orléans, et tous deux n'étaient rentrés en France qu'à la mort de Richelieu.
Si le cardinal Mazarin faisait désormais surveiller le comploteur dont il craignait l'audace et le talent dans l'intrigue, Fontrailles était pourtant parvenu à préparer l'assassinat de Louis XIII. Allié à la duchesse de Chevreuse, il s'apprêtait à faire disparaître Mazarin pour installer à sa place le duc de Beaufort, quand, à nouveau, le même grain de sable, un petit notaire nommé Louis Fronsac, avait fait échouer l'entreprise 23 .
Pourtant, la révolution que connaissait l'Angleterre prouvait au marquis que quelques hommes d'action, courageux et entreprenants, parvenaient à transformer un royaume en république. Mais Gaston d'Orléans se révélant trop timoré et trop lâche pour prendre la tête d'une telle entreprise, le marquis de Fontrailles s'était-il rapproché du coadjuteur Paul de Gondi, tout comme son ami Montrésor.
Tout cela, Mazarin le savait ; comme il connaissait le rôle inquiétant du marquis dans l'affaire d'espionnage ayant mis en émoi le service du Chiffre, quatre ans plus tôt 24 , ou encore dans celle des fausses lettres de provision proposées à la vente en Provence 25 dans le seul but de le compromettre auprès de la reine.
Le rapprochement du marquis et du coadjuteur tourmentait d'autant plus le cardinal que ses espions avaient saisi une correspondance entre M. de Fontrailles et M. de Chavigny, ancien ministre de Richelieu devenu gouverneur du château de Vincennes. Les deux hommes préparaient quelque chose… mais quoi ? Dans l'ignorance de ce qui relevait peut-être d'un nouveau complot, le cardinal avait pris les devants et, en août, fait embastiller le marquis 26 .
Ironie de l'histoire, M. de Fontrailles n'avait pas été arrêté par des magistrats, pour les innombrables conspirations conduites, mais par lettre de cachet, sans la moindre explication. Si la
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