Le Secret de l'enclos du Temple
régente en avait le droit, il s'agissait néanmoins d'une situation embarrassante pour la Cour, car seules couraient des rumeurs sur les crimes du marquis. Qui plus est, ses amis comme le coadjuteur Paul de Gondi, M. de La Rochefoucauld, ou encore Monsieur l'oncle du roi, n'avaient aucun intérêt à ce qu'il reste en prison, Fontrailles connaissant trop de choses sur eux ! Aussi faisaient-ils pression auprès de la reine pour qu'il sorte de la Bastille.
Afin d'éviter une libération qui le désavouerait, Mazarin avait donc demandé à l'abbé Basile Fouquet de trouver quelque fait délictueux susceptible d'entraîner une solide accusation contre le comploteur. D'où la vraie raison de la présence si fréquente de l'abbé au Hazart .
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Après le départ de Guy de Rabutin, Basile Fouquet n'eut plus le cœur à jouer ni à s'intéresser aux activités présumées de M. de Fontrailles. Une seule question occupait son esprit : se pouvait-il que le frère de ce fat ait vraiment trouvé un document permettant de mettre la main sur le trésor des templiers ? Ce n'était pas impossible… Basile connaissait bien des gens qui, ayant fait des travaux dans leurs maisons, y avaient découvert des cachettes contenant parfois de belles surprises. Il avait souvent entendu parler des cinquante coffres de fer débordant d'or du Temple. S'il pouvait mettre la main dessus ! Avec une telle fortune, plus besoin d'exercer ce méprisable métier d'espion et d'être à la charge de son frère. Il achèterait un titre, des terres, les plus belles femmes de la Cour tomberaient dans son lit, puisqu'il n'avait pas prononcé ses vœux, il pourrait se marier. Mieux, il prêterait son argent au roi… deviendrait duc et pair… serait présenté à la reine… Bel homme comme il l'était, pourquoi ne tomberait-elle pas en pâmoison ? Jusqu'où ne monterait-il ? Amant de la reine, comme Mazarin ? Et pourquoi pas premier ministre ?
L'abbé Basile s'échafaudait un fabuleux avenir. Il convenait juste de savoir si Rabutin n'avait pas exagéré – et de mettre la main sur le trésor avant d'autres.
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Toujours ce mardi, à l'hôtel de Condé appartenant à sa mère, Madame la Princesse douairière, le jeune Armand de Bourbon, prince de Conti, recevait à sa table quelques dignitaires de l'ordre des hospitaliers, dont le grand prieur du Temple. Seuls des hommes se trouvaient autour de la table.
Chacun a déjà observé comme la beauté ou la laideur peut se répartir de façon étonnante dans une même fratrie. C'était le cas dans la famille Condé. La sœur du prince, Geneviève de Bourbon, épouse de M. de Longueville, avait reçu tous les avantages possibles et elle s'imposait comme l'une des plus belles femmes de la Cour. En revanche, les deux frères s'étaient partagé la laideur, mais de façon différente. Louis de Bourbon possédait un corps d'athlète mais un visage au nez de rapace sur une dentition monstrueuse, alors qu'Armand, son cadet, affichait un corps difforme surmonté d'un visage adorable qui plaisait beaucoup aux dames.
Jusqu'au jour de notre histoire, la vie d'Armand n'avait été que contraintes. Destiné à l'état ecclésiastique, le jeune homme avait suivi l'enseignement du collège de Clermont comme futur prêtre. En 1641, il avait été nommé abbé commendataire 27 de l'abbaye de Saint-Denis, puis abbé de Cluny. À seize ans, il avait soutenu une thèse de théologie alors que la galanterie l'attirait autrement plus que la religion et qu'il préférait les comédiennes peu farouches aux prières et méditations.
À la mort de son père, le conseil de famille, présidé par son frère et sa mère, avait décidé de le maintenir dans l'état ecclésiastique et demandé pour lui un chapeau de cardinal.
Le prince était maintenant âgé de dix-neuf ans. À cause de sa difformité, ceux qui ne l'aimaient pas le comparaient à un singe et le disaient sot et méchant. Méchant, il l'était certainement, tant il souffrait de sa faiblesse physique et de la gloire de son frère ; sot, certes non, bien que le coadjuteur Paul de Gondi, qui n'avait aucune envie que le jeune prince devienne cardinal – alors que lui-même briguait le même chapeau – le qualifiât de zéro .
L'archevêque de Paris n'aurait pourtant pas dû s'inquiéter à ce sujet. Armand de Bourbon appréciait trop les femmes pour entrer dans les ordres. Seulement, pour l'heure, il n'aimait qu'une seule d'entre elles. En mai, il était
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