Le Secret de l'enclos du Temple
moustache qui lui barrait le visage, ses yeux d'un bleu profond et son port de tête aussi altier que celui d'un aristocrate, lui donnaient une telle séduction que peu de dames y résistaient.
— Monsieur de Rabutin, vous nous quittez déjà ? s'enquit-il d'une voix agréable en ôtant son chapeau à pennage, faisant voltiger avec grâce ses longs cheveux châtains bouclés au fer.
— Croyez que je le regrette, monsieur l'abbé, mais ma bourse commande à mes désirs. Dame Chance n'est pas au rendez-vous, ce soir.
— Puis-je vous offrir une partie de trou-madame ? Vous jouerez à mes frais !
— Ma foi, pourquoi pas ? répliqua Guy, incapable de résister à la tentation.
Ils montèrent l'escalier. La salle à côté de celle où l'on tenait les cartes était consacrée aux autres divertissements. On y trouvait un billard, deux grands trous-madame, un jeu de trictrac et un tourniquet. Trois musiciens jouaient doucement de la viole dans une alcôve.
L'abbé paya à un valet deux palets à un écu et en donna un à Rabutin. Ils s'approchèrent d'une table. Il y avait deux autres joueurs et trois femmes, aussi durent-ils attendre leur tour. Chaque joueur faisait glisser son palet vers les cases numérotées en points et avait droit à trois essais. Rabutin, le plus habile, encaissa douze écus au soleil tandis que le prêtre perdait.
— Monsieur de Rabutin, fit Basile Fouquet, il semble que la fortune vous sourie à nouveau…
— Grâce à vous, monsieur l'abbé ! Mais je vais pourtant en rester là, répliqua Rabutin, tout content d'avoir gagné. J'attendrai pour jouer gros que mon frère m'ait donné quelques miettes de son trésor ! ajouta-t-il dans l'excitation de sa victoire.
À peine avait-il lâché ses paroles qu'il les regretta. Il salua rapidement et s'éloigna de la table pour se diriger vers la porte. Basile le suivit, intrigué. Les derniers mots de l'hospitalier ne lui avaient pas échappé.
— Un trésor ? Racontez-moi ! J'adore ce genre d'histoire ! lui demanda-t-il en le rattrapant.
— Je plaisantais ! répondit Guy, sincèrement contrarié d'avoir parlé sans réfléchir, même s'il ne croyait pas au trésor du Temple.
Il avait souvent rencontré l'abbé Basile Fouquet au Hazart . Ils avaient même sympathisé, ayant tous deux la même attirance envers les jolies femmes et le jeu. Guy de Rabutin savait que le frère de Basile, Nicolas Fouquet, était un homme riche, maître des requêtes et sur le point d'être nommé intendant de Paris après avoir été celui de l'armée du Nord. L'abbé lui-même ne manquait jamais d'argent.
Il hésita devant l'insistance de son compagnon. Pouvait-il lui faire confiance ? Les Fouquet n'étaient quand même que des roturiers. Puis il songea qu'il venait de lui faire gagner douze écus… S'il lui marquait de la défiance, il s'en ferait sottement un ennemi. De plus, le papier découvert par son frère n'avait aucun sens. Quelle importance cela avait-il d'en parler ?
— Mon oncle a offert à mon frère, le comte de Bussy, une maison dans l'enclos du Temple, expliqua-t-il. À l'occasion des travaux qui y ont été faits, on a trouvé un parchemin caché avec un galimatias incompréhensible. Mon frère est persuadé qu'il contient la clef qui le conduira au trésor des templiers ! Voilà, vous savez tout, mais ce n'est qu'une histoire à dormir debout !
La main sur la bouche, Basile se mit à pouffer, comme à une bonne plaisanterie.
— Dites-lui que d'innombrables personnes ont déjà cherché le trésor de Jacques de Molay !
— Je le lui ai dit, monsieur l'abbé, ainsi que mon oncle, mais mon frère est convaincu que le trésor est toujours caché dans le Temple.
— Dans sa maison ? persifla Fouquet.
— Pourquoi pas ? répliqua Guy de Rabutin en se moquant.
S'il y avait bien un endroit qui avait été entièrement fouillé, c'était la maison de Molay ! pensa-t-il. Impossible qu'un trésor s'y trouve.
— Je dois rentrer, monsieur l'abbé, j'aurais plaisir à vous revoir, poursuivit-il, satisfait d'avoir lâché cette fausse piste.
Ils se séparèrent et Basile le regarda s'éloigner, songeur.
*
L'abbé venait souvent au Hazart et ne cachait pas qu'il aimait jouer. Il appréciait de se mêler à cette société d'aristocrates, dont il voulait tant faire partie, et se plaisait avec les jolies femmes, vénales et non vénales, que l'on rencontrait dans le tripot.
Mais si tout le monde savait cela,
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