Le Secret de l'enclos du Temple
chercherez plus à revoir ce prêtre. Est-ce compris ?
Elle hocha la tête en reniflant.
— Je passerai vous voir chez votre sœur. J'aurai d'autres questions à vous poser.
Tardieu appela le guichetier qui emmena la prisonnière.
*
— Si elle n'a pas menti, dit Gaston au lieutenant criminel après son départ, l'histoire se réduit à peu de chose.
— En effet, soupira Tardieu, devinant que l'or était revenu au mari et qu'il n'y avait pas d'intercesseur diabolique, et donc hélas sans doute aucune fortune à récupérer !
— Il ne me sera pas aisé d'identifier le prêtre, et encore moins celui qui se fait passer pour Belzébuth, le prévint Gaston.
— Inutile que vous perdiez du temps avec cette histoire. Tout est clair : le mari s'est débarrassé de sa femme parce qu'elle était trop sotte. Néanmoins, j'enverrai un exempt à la Merci pour interroger les prêtres, décida Tardieu.
Gaston secoua négativement la tête.
— Votre exempt ne sera pas reçu. Le prieur vous dira qu'il dépend de la justice de l'archevêché. Vous n'arriverez à rien par ce biais.
— Alors abandonnons ! De toute façon, elle est condamnée.
— Attendons plutôt… J'ai l'intuition que si le mari veut vraiment se débarrasser de sa femme, il tentera autre chose…
— Vous croyez qu'il essaiera de la tuer ? s'inquiéta Tardieu.
— Peut-être, reconnut Gaston en écartant les mains.
— Je ne peux interroger à nouveau le mari, il niera ! Nous n'avons aucune preuve ni présomption contre lui. Et comme je viens de vous le dire : l'affaire est jugée.
— Si vous apprenez quelque chose, faites-le-moi savoir.
Sur ces mots évasifs, Gaston de Tilly salua le lieutenant criminel et quitta la salle.
En retournant au Châtelet chercher son cheval, il songea à l'étude des parents de son ami Louis. Les domestiques allaient à la messe à la Merci. Peut-être l'un d'eux avait-il été confessé par ce prêtre qui connaissait si bien le diable…
19 Le quai de la Mégisserie.
6
C e même mardi, le lendemain donc du jour où M. de Bussy avait raconté sa découverte à son frère et à son oncle, Guy de Rabutin se trouvait au Hazart , un fameux salon de jeux situé non loin des jardins du Palais-Royal, dans une rue du même nom où se succédaient les tripots.
L'endroit avait été très à la mode quelques années plus tôt quand le tenait la belle Françoise de Chémerault qui dirigeait aussi le bordau de l'étage. Mais la Belle Gueuse, comme on l'appelait, avait épousé un des trésoriers de l'Épargne et si elle recevait encore chez elle des joueurs enragés, c'étaient uniquement ses amis, ou ceux de son mari.
Quant au Hazart , il était resté entre les mains de son véritable propriétaire, le marquis de Fontrailles 20 . Certes, les clients ignoraient le nom du maître de maison. Ils étaient reçus par une Mme de Rancourt, qui sans être aussi avenante que la Belle Gueuse savait aussi bien qu'elle faire régner l'ordre. Il y avait d'ailleurs un M. de Rancourt, par ailleurs valet de chambre de M. de Fontrailles.
*
Cet après-midi de décembre, l'affluence était grande dans l'un des salons de jeu où toutes les tables couvertes de lourdes nappes damassées étaient occupées par des joueurs de bassette et de lansquenet. Un feu crépitait dans une vaste cheminée et quelques laquais mouchaient les bougies tout en surveillant les parties, ou plus exactement les tricheurs.
Le chevalier hospitalier Guy de Rabutin s'adonnait à la bassette. Il venait de perdre les dix louis qu'il possédait et se leva de sa chaise en soupirant. Ayant fait vœu de pauvreté, il ne pouvait se permettre de perdre plus, sinon, il lui faudrait encore quémander une avance à son oncle, et celui-ci lui ferait la morale. Il s'apprêtait donc à rentrer au Temple où il logeait dans une minuscule chambre du bâtiment réservé aux chevaliers.
Il salua ses amis et sortit, espérant trouver une chaise à porteurs dans la rue. Il descendait l'escalier conduisant au grand vestibule quand il croisa l'abbé Basile Fouquet, un jeune homme de grande taille, à peu près du même âge que Guy, c'est-à-dire environ vingt-cinq ans. Si tous deux étaient religieux, le prêtre portait rarement la soutane et le col carré. Guy l'avait toujours vu en chausses et pourpoint blancs, avec quantité de galans colorés aux poignets et aux genoux, épée au côté comme un gentilhomme bien qu'il soit roturier. Le front haut, la fine
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