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Le secret des enfants rouges

Le secret des enfants rouges

Titel: Le secret des enfants rouges Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Claude Izner
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frissonner. Il enfouit ses mains tremblantes au fond de ses poches. Du coin de il aperçut un cycliste en train de remonter le pneu de sa roue arrière, et se hâta vers les lumières de la rue Monge.
    L’émissaire se releva. Poussant son vélo d’une main, il pénétra à son tour chez le limonadier.
     
    Coupées d’impasses ténébreuses, les voies escarpées formant le faubourg de Charonne dressaient le long de terrains vagues leurs bâtisses aussi délabrées que des dents gâtées. Derrière des palissades où se nichait une demi-douzaine de roulottes, des saltimbanques répétaient leurs tours à la flamme d’un feu de camp. Au début de la rue de Nice, une femme poussant un orgue de Barbarie pénétra dans la cour d’une bicoque d’un étage. Elle alla remiser son instrument sous l’auvent d’un hangar, puis risqua un œil à travers une vitre obscure. La boutique du brocanteur était close, le vieux porc avait dû se pieuter.
    La femme s’aventura sur les marches abruptes de l’escalier, enjamba la cinquième qui grinçait, s’arrêta sur le palier pour écouter. Elle perçut des voix, le vieux porc recevait. Tant mieux, il ne l’entendrait pas grimper à l’échelle de meunier et lever la trappe qui ouvrait
    chez elle.
    Anna Marcelli referma doucement l’ abattant et alluma la lampe à pétrole. Elle se redressa, le dos brisé par cette journée éreintante à trimbaler son moulin à café 35 au hasard des rues où elle avait toujours froid, même lorsque le soleil brillait. Combien elle regrettait l’Italie, Naples alanguie sous le soleil près de son golfe aux eaux d’émeraude, les gosses dépenaillés qui cavalaient nu-pieds le long des ruelles et riaient en dépit de leur ventre creux, ces gosses dont elle avait fait partie jusqu’à ce que son père se fourre en tête l’idée qu’ils trouveraient le paradis terrestre dans l’enceinte des fortifs parisiennes ! Les compatriotes revenus de France lui avaient mis l’eau à la bouche avec leur description du luxe et du bien-être de la capitale.
    Voir Paris et vivre !
    Ils avaient fait leur balluchon et sauté les Apennins.
    — On deviendra riches, Anna. Paris est la plus belle cité du monde, là-bas les gens jettent l’or par les fenêtres, alors il y aura toujours quelques pièces pour un joueur d’orgue et une prima donna, ma musique et ta voix, ce sera la gloire !
    En fait de gloire, ils n’avaient récolté que celle d’échouer chez ce grigou d’Achille Ménager, leur bienfaiteur ainsi que le nommait son père, tout ça parce qu’il leur louait une mansarde pleine de courants d’ air
    — Che freddo 36  ! murmura Anna.
    Six mois après leur arrivée, Luigi mourait de phtisie. Il n’avait pas trente-cinq ans. Achille Ménager avait payé la messe et l’enterrement de troisième classe.
    — C’est un prêté pour un rendu, avait-il marmonné en caressant les cheveux de la petite Anna.
    Elle l’avait remboursé au centuple, si bien qu’à présent un regard masculin trop appuyé lui donnait la nausée. Huit ans déjà, huit ans à pousser la romance aux nuages et à recevoir des giboulées en guise de pluie d’or.
    Elle se fredonna sa dernière ritournelle :
    … Car le temps qui vole, vole,
    Ne peut rien contre l’amour 37 …
    Elle venait d’avoir dix-neuf ans, tout était encore possible.
    Elle s’examina dans le miroir fêlé pendu à côté de
    son grabat : des yeux noisette, un nez fin et busqué, un
    teint mat, une chevelure abondante sous la coiffe
    jouée autour du cou. Elle constata qu’il faudrait de
    nouveau ravauder le tablier bleu à bretelles qui, avec le
    corsage blanc et la robe rouge, constituait son costume de travail. Elle suspendit sa cape au dossier de l’unique
    chaise, prit un plat de lentilles dans le buffet et le mit à
    réchauffer sur le support de la lampe qui commençait à
    filer, puis elle contempla cette soupente glaciale
    égayée de portraits de Garibaldi et de Verdi, achetés à
    un marchand d’estampes, quai Conti. Elle s’approcha
    de l’autel dressé à la mémoire de son père : un collier
    de coquillages et trois pierres ponces ramassées sur les
    pentes du Vésuve, disposés autour du calepin usé où
    Marcelli notait les paroles de ses compositions
    musicales. Hormis ces souvenirs, elle ne possédait qu’un peu de linge, un broc, une cuvette, de la vaisselle dépareillée. Son chez-soi ? Plutôt celui du vieux porc ! Sa voix éraillée lui parvenait

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