Le secret des enfants rouges
Yvette, viens.
L’émissaire sourit.
L’homme et la fillette gagnèrent la rue Fontaine. Aussitôt, l’émissaire se redressa, enfourcha son vélo, et sortit à leur suite.
CHAPITRE IX
Jeudi 14 avril, fin d’après-midi
Assise au creux d’un fauteuil, les pieds posés sur un pouf, Iris brodait avec application un chemin de table destiné à lui concilier les bonnes grâces d’Euphrosine. Après beaucoup d’hésitations, elle avait opté pour d’énormes fleurs dont on eût vainement cherché le nom dans un manuel de botanique mais qui, enjolivées de coton corail et safran, seraient d’un bel effet décoratif. On sonna à l’entrée du côté immeuble. Elle fut surprise de voir Victor accompagné d’une gamine, qu’il lui présenta comme étant la fille d’un chiffonnier hospitalisé.
—La pauvre gosse est seule au monde. En l’absence de Tasha, et jusqu’au retour de son père, je me demandais si vous accepteriez de l’accueillir.
—Volontiers ! Où est son bagage ?
—Je crains qu’elle ne possède pas d’autres vêtements.
—Si, j’en ai, distribués par les dames de charité, ils sont chez nous, rectifia Yvette.
—Je te raccourcirai une de mes robes. D’abord je vais te préparer un goûter. Tu aimes le cake ? Et le sirop d’orgeat ? Tu veux des calissons ? Tu désires peut-être te baigner ?
Muette sous cette avalanche de questions, Yvette se
laissa mener à la cuisine au vif soulagement de Victor qui descendit à la librairie.
— Des commandes ?
Aux prises avec une feuille de papier d’emballage et
un rouleau de ficelle, Joseph, rouge, les cheveux en bataille, s’échinait à empaqueter trois piles de livres. Son attitude irascible, ponctuée de soupirs à fendre l’âme, apprit à Victor que la journée avait été fructueuse.
— Où est M. Mori ?
— Chez son tailleur, une séance de retouches, bougonna Jojo.
Victor lui fit part de sa décision concernant Yvette et le pria d’abonder dans son sens.
— Ça va, son père est à l’hosto. Vous me faites
confiance, ça fait plaisir… Ah, saleté de ficelle !
— Passez-moi vos ciseaux, je vous déleste de cette corvée, les livraisons attendront demain. Il est plus urgent de vous enquérir de Léonard Diélette.
Joseph décampa sans permettre à Victor de changer d’avis.
Le cocher dodelinait de la tête, envahi d’une bienfaisante euphorie. Cette course était une aubaine. Deux heures qu’il stationnait rue des Saints-Pères. Payé d’avance pour se la couler douce. Le seul impératif : caser un vélocipède dans la caisse. Un bon pourboire avait réglé le problème.
Le front collé à la vitre de la portière, l’émissaire
s’interrogeait : combien de temps allait durer ce jeu de cache-tampon ? Le guidon de sa bicyclette labourait ses côtes, aucune importance. Que décider ? Suivre le commis ou rester en planque devant la maison où se trouvait le chaînon grâce auquel remonter à la flétrissure ?Si l’associé hébergeait la morveuse, c’est qu’il détenait un indice.
« Alors, choisir de filer le commis ? Je risque de perdre la trace de l’associé… Et si c’était une ruse ? Peut-être a-t-il envisagé qu’il pouvait être surveillé ? Il fait diversion afin de m’égarer. S’il croit m’avoir ! Je ne le lâche pas d’un pouce. »
Au-dessus d’un maigre feu allumé près de sa cahute, Coralie Blinde avait placé une marmite où mijotait un ragoût d’abats à quatre sous la livre. Luxe suprême, une pomme de terre cuite dans la cendre agrémenterait ses agapes. L’âne Clampin poussait du naseau les cailloux jonchant le sol, déçu de ne pas dénicher le chardon succulent dont il rêvait. Un bambin à moitié nu, titubant sur ses jambes courtes, déboula en hurlant, vite rattrapé par sa sœur qui cracha sur un pan de sa jupe et lui débarbouilla les joues. Puis ils demeurèrent tous deux immobiles, fascinés par la marmite, le nez froncé, humant la bonne odeur de fricassée.
L’arrivée de Joseph les fit détaler. Comme si elle redoutait qu’il ne veuille prélever une part de son dîner, Coralie Blinde s’interposa, bras croisés, en une posture de défi.
— C’est encore vous !
— Ces gamins, ils crèvent de faim. Appelez-les donc, je leur glisserai une pièce.
— Gaspillez pas votre thune, c’est des vauriens, y vous reluquent en arrondissant les châsses, qu’on leur donnerait le bon Dieu
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