Le Serpent de feu
occasionné une libération accidentelle et incontrôlable de cette prodigieuse force psychique. Mon hypothèse était du reste confortée par l’hypertrophie de la glande pinéale que le Pr Marlwood avait constatée sur le cerveau de son patient, et que les Anciens s’accordaient à désigner comme l’une des principales manifestations du fameux éveil du Serpent.
Si cette théorie avait l’avantage d’élucider un tant soit peu rationnellement la manière dont Ambrose, sans entraînement particulier, avait réussi à rester aussi longtemps en vie dans cet état de dissociation du corps et de l’esprit, elle permettait en outre d’expliquer ce supposé savoir que le peintre affirmait avoir recueilli durant son voyage dans l’astral, la faculté de la kundalini à élargir de façon considérable le champ des connaissances étant entérinée par la plupart des auteurs.
Quant à la réalité de cette prétendue possibilité de changer définitivement de corps qu’Ambrose avait invoquée peu avant sa mort, je n’eus à me mettre sous la dent que des réponses incomplètes et peu satisfaisantes. Je trouvai néanmoins dans un vieil ouvrage de traditions orientales que quelques lamas tibétains, après de longues pratiques de purification, avaient été en mesure d’accomplir ce qu’ils nommaient l’opération de la « translation de vie ». Celle-ci consistait dans le passage de leur esprit d’une enveloppe à une autre, cette dernière, définie comme le « corps receveur », ayant été cédée en toute conscience, et selon un rite dûment établi, par un individu désireux de mettre un terme à son existence terrestre. Ailleurs, je trouvai également qu’une telle science avait été l’apanage de certains adeptes de l’Antiquité, et que David, deuxième roi des Hébreux, aurait pris le corps d’Ahmose I er , pharaon de la XVIII e dynastie, pendant que son épouse Bethsabée aurait transmigré de son vivant dans celui de la reine Tahpnès.
Billevesées ? Fables élucubratoires ? Nul ne le saura probablement jamais.
Quand je foulai le parquet lustré de l’ Overton , je trouvai Ashley Kirkby installé dans un box, devant un verre de limonade. Sur la table reposait près de lui une de ses casquettes en velours d’une horrible teinte jaune dont il ne se séparait jamais.
— Enfin de retour dans notre bonne ville, Dr Kirkby ! fis-je en m’installant en face de lui.
— Peu de temps, mon cher. J’ai un train qui part dans une demi-heure pour le Sussex.
— Le Sussex ?
— À Chichester, près de Portsmouth. Pardonnez-moi de vous avoir fait déranger pour le peu de temps que j’ai à vous consacrer, mais il était impératif que j’aborde avec vous un point de la plus haute importance.
— Je vous écoute, Dr Kirkby.
— Je crois savoir que vous vous êtes documenté récemment sur les origines de l’Aube dorée.
Je ne pus m’empêcher d’afficher un vif étonnement, tandis qu’on m’apportait un verre de porto.
— Bigre ! Vous disposez donc d’un talent de clairvoyance ?
Le petit homme, qui conservait un visage aux traits lumineux bien qu’il eût dépassé depuis belle lurette les soixante-dix printemps, se mit à rire de bon cœur.
— Un des archivistes du British est membre de notre premier ordre, rétorqua-t-il lorsque le serveur fut reparti. Sachez que la confrérie dont je suis le grand maître est justement l’une de ces sociétés nées au début de ce siècle du schisme de l’ordre initial.
— C’est en effet l’une des informations que j’ai recueillies au cours de mes recherches. Mais rassurez-vous, celles-ci n’étaient motivées que par la plus innocente curiosité.
— Je n’en attendais pas moins de votre part, mon jeune ami. Veuillez excuser cette attitude quelque peu précautionneuse, mais le ciel qui se lève à l’horizon se fait de plus en plus sombre pour nous autres. Des appétits barbares s’apprêtent à déferler sur l’Europe pour se repaître des valeurs auxquelles nous sommes attachés, vous comme moi. Dans ces conditions, certaines vérités, certaines connaissances nécessitent d’être occultées du regard du commun des mortels.
— Excusez-moi, Dr Kirkby, mais je crains de ne pas bien vous suivre.
— Je reviens de la ville de Nimègue, aux Pays-Bas, près de la frontière allemande, où j’ai été mandé par les hauts grades de plusieurs loges fraternelles germaniques qui y ont trouvé refuge ces
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