Le Serpent de feu
possession de moi, s’insinuant depuis le creux des reins jusque dans le haut de la colonne vertébrale en un flux de vaguelettes irisées. À la fin, il me sembla que j’étais entièrement immergé dans une eau chaude, à l’exception près que l’eau ne se trouvait pas seulement autour de moi, mais aussi à l’intérieur, dans les tréfonds de mon être, et que je ne faisais plus qu’un avec tout ce qui m’entourait.
Le plaisir était indescriptible et allait en s’intensifiant. Bientôt, je reconnus cette impression, déjà ressentie dans la fumerie d’opium, qu’une partie de ma personne avait acquis une telle légèreté qu’elle paraissait prête à se désolidariser de l’autre.
Puis je fus traversé d’un spasme. À ce signal, tout alla très rapidement.
Mon esprit se détacha de son enveloppe physique et démarra une ascension lente, graduelle mais ininterrompue, jusqu’au pinacle de la chambre. Je craignis d’abord que le plafond mît un terme à ma progression, mais force était de constater que je pénétrai dans la maçonnerie avec autant de facilité qu’un rayon de lumière à travers du cristal, glissant à l’improviste dans la chambre de Miss Sigwarth, qui ronflait dans son lit en chemise de nuit purpurine.
Confus de me retrouver ainsi à loucher l’alcôve de ma logeuse, il me suffit de formuler le désir de modifier ma trajectoire pour que je franchisse aussitôt la muraille et me déporte au-delà de la maison, en surplomb de la coupole du muséum. La sensation de liberté et de toute-puissance était enivrante. Bien sûr, je n’étais pas exempt de quelques doutes quant à la réalité de ce que j’étais en train de vivre, mais la manière dont je ressentais avec une acuité exacerbée l’humidité de l’air et la froidure de la brise qui me fouettait la peau – sans que j’en éprouve d’incommodité particulière – aurait suffi à convaincre n’importe qui.
Je cessai de contempler le décor pour observer ce qui me tenait lieu d’anatomie. Quand bien même j’avais quitté mon corps et que je le savais reposer sur un lit, plongé dans une transe comparable à la mort, je percevais avec un luxe de détails ma nouvelle effigie, formée à la ressemblance exacte de celle qui était mienne depuis ma venue au monde. Les proportions et l’apparence générale étaient identiques et, si j’avais eu la possibilité de me contempler dans un miroir, j’y aurais certainement reconnu sans peine les traits de mon visage. Lorsque je touchai mes mains, mon ventre, mes jambes, je me rendis compte cependant qu’ils étaient constitués d’un matériau différent, translucide, « spiritualisé », et que la couche tissulaire n’était résistante au toucher que pour moi seul.
En tournant la tête pour tenter de distinguer derrière moi le fil d’argent, ce cordon ombilical dont parlaient les philosophes et qui était censé rattacher l’esprit désincarné à sa matrice objective, je n’en décelai aucune trace. Cela ne signifiait pas pour autant qu’il était inexistant. Au bas du dos, à la naissance de la colonne vertébrale, je ressentais comme une pointe de chaleur localisée qui me laissa supposer que ce lien, d’une nature plus subtile encore que le reste de mon corps, n’affectait tout simplement pas mes sens.
Ayant fini l’inspection de mon être hyperphysique, je décidai de reprendre mon ascension. Car, pour ce que je considérais comme ma deuxième expérience de sortie en astral, j’étais décidé à me rapprocher le plus possible de la frontière avec l’autre monde.
Par la seule force de mon esprit, j’impulsai à mon enveloppe éthérée un vigoureux mouvement vers le ciel et, d’un coup, je me transportai au-dessus des nuées. Les lumières de la ville s’étaient dérobées, je me retrouvais encerclé par de profondes ténèbres. Le froid, qui était plus prégnant à cette altitude, ne m’indisposait toujours pas.
Quand j’atteignis les limites extrêmes de la stratosphère, le voyage prit une tout autre tournure. Mon corps fut brusquement entraîné dans un tourbillon grondant où même les planètes et les étoiles ne constituaient plus des points fixes. Autour de moi, il n’y avait plus ni haut, ni bas, ni gauche, ni droite. Je roulais dans le vide cosmique, non comme un nageur apeuré emporté par les flots, mais plutôt comme une créature marine subissant sans émoi l’assaut des ondes. Car j’étais habité par
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